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Dernière invitée de la saison pour notre podcast : la journaliste Lauren Provost, directrice adjointe de Libération. Si l’écologie a eu sa place dans le journal dès le début de son histoire, bien avant que le dérèglement climatique ne soit perçu comme une menace majeure et globale, qu’en est-il à l’heure de l’urgence écologique ?

Julien et Lauren en pleine conversation dans le dernier épisode de la saison du podcast Les médias se mettent au vert

Lauren Provost est passée par la PQR, L’Express, mais surtout, le Huffington Post avant de rejoindre la rédaction de Libération qu’elle co-dirige depuis maintenant deux ans. 

Comment un média comme Libération s’engage-t-il, au service de ses lecteurs, dans la course à l’adaptation de nos politiques et de nos économies ? Mais aussi : avec quels mots raconter cette transition ? Quelles images ? Et quels formats ? 

La transition est également un combat culturel : comment” Libé” se positionne-t-elle dans la bataille des imaginaires et des récits ? 

Au micro de Julien Le Bot, Lauren Provost revient sur la transition climatique de Libé. 

Dans cet épisode, vous retrouverez aussi deux questions envoyées par Noélie Coudurier, journaliste indépendante et formatrice Samsa, et Loup Espargilière, de Vert.

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Cet épisode a été enregistré en public le 24 mai 2023, à Créatis, et réalisé par Sylvain Pinot.

Transcription de l’entretien avec Lauren Provost

Julien Le Bot

Bonjour, c’est Julien Le Bot et aujourd’hui, je vous propose de terminer la première saison de ce podcast en vous parlant de Libé. Alors, je dis « Libé » en deux syllabes parce que Libération n’est pas un média comme les autres.

En tout cas, quand j’étais étudiant à Rennes 2, c’était il y a plus de 20 ans, tout le monde fumait encore dans le hall B dès 8h00 du matin. Il y avait écrit « Vive le dictatorial de la proletariat ! » au fronton du bâtiment. Et puis moi, j’allais à la BU tous les jours pour lire l’IB et je le lisais à l’envers. Pas forcément pour faire mon intéressant, c’est parce que je commençais par le portrait et puis ensuite, je remontais le fil des critiques culturelles avant d’aller vers les pages rebonds pour ensuite remonter jusqu’aux petites annonces où l’on pouvait tomber sur des transports amoureux qui aient parfois été poétiques. Et puis ensuite, je pouvais aller sur l’actu à proprement parler. L’ib, en tout cas, même avec ses défauts, même avec ses outrances, c’était une sorte de boussole. Alors, qu’en est il à l’heure de l’urgence écologique ? L’écologie a eu sa place dans le journal dès le début de son histoire, bien avant que le dérèglement climatique ne soit perçu comme aujourd’hui, comme une urgence majeure et globale.

Mais Libé n’a t il pas laissé le sujet un peu de côté au fil de son histoire ? Comment un média comme Libération s’engage t il au service de ses lecteurs dans la course à l’adaptation de nos politiques et de nos économies ? Mais aussi, avec quels mots raconter cette transition ? Quelles images ? Quel format ? La transition est également un combat culturel. Comment Libération se positionne t elle dans la bataille des imaginaires et des récits ? C’est ce qu’on va essayer de voir ici et de comprendre comment, au cours de cet épisode, Libération se positionne sur ces enjeux. Je suis justement avec Lorraine Proveau, qui est directrice adjointe de la rédaction Libération depuis bien à peu deux ans. Bonsoir à toi.

Lauren Provost

Bonsoir Julien, bonsoir tout le monde.

 

Julien Le Bot

Et bienvenue donc dans Les Médias se mettent au vert, un podcast, mais surtout une conversation publique où l’on discute de la bascule écologique des journalistes et des médias. Les Médias se mettent au vert, c’est un podcast qui est coproduit par Samsa.f, qui accompagne les professionnels de l’information dans leur transformation numérique et leur transition climat, et par Creatis, qui accompagne les entrepreneurs engagés dans les médias et la culture partout en France et qui nous accueille ici à Paris, dans le 11ème arrondissement.

Ce podcast est donc enregistré en public. Les questions sont les bienvenues et je donnerai la parole à vous qui êtes là ce soir si vous le souhaitez. Je suis Julien Le Bot, je suis donc responsable innovation chez Samsa.fr, mais je suis aussi journaliste indépendant, auteur, réalisateur, formateur. Et pour ce huitième numéro, je suis très heureux de t’accueillir pour parler de Libération. Alors, peut être pour commencer, une question toute simple. En préparant ce podcast, je me suis promené sur le site, notamment du côté des numéros spéciaux qui évoquent les 50 ans de Libération ou de Libé. Évidemment, on y retrouve les vulnérables fondateurs et dirigeants, Sartre avec sa clope au bec, Serge July, Laurent Joffrin, Nicolas Demorand, Dov Alfon.

Et puis, on retrouve l’ensemble des entretiens de Michel Platini avec Marguerite Duras. On évoque la passion du journal pour David Bowie. On évoque Mao, Charlie, Alain Pacadis, mais même pas la Vélorution. Je me suis dit « Mais qu’est ce qui se passe à Libération, Lauren ? »

Lauren Provost

Qu’est ce qui se passe ? Déjà, merci de nous souhaiter notre anniversaire. En quelque sorte, Julien, c’est très sympa. En effet, on a 50 ans, il y a énormément de combats à célébrer et donc il a fallu faire des choix, un grand tri dans nos archives, dans les histoires qu’on avait envie de raconter. Et on la raconte de multiples façons. Donc ce que tu as vu n’est qu’une facette.

Julien Le Bot

J’étais surpris parce que justement, ce soir, parce que là, on s’est enregistré un soir, on est à Creatis comme on le disait, tu es venu avec des « Une » de Libération que tu as imprimées. La documentation s’est plongée dessus et on voit bien qu’en fait, Libération a assez tôt couvert la transition climatique ou en tout cas le réchauffement climatique.

Lauren Provost

Complètement, oui. Tu veux qu’on commence par la genèse de Libé et de l’environnement ?

Julien Le Bot

Non, mais c’est marrant que pour les 50 ans, vous mettiez en avant autant de figures historiques du journal, autant de positionnements sur les questions culturelles et finalement pas tant que ça.

Lauren Provost

Oui, je pense qu’il faut que tu regardes le hors série qu’on a sorti en février qui s’appelle Les 50 ans, 50 combats. Et dedans, ce qu’on a fait, c’est qu’on a demandé à des journalistes actuels de la rédaction de se replonger dans les archives, mais aussi d’aller rencontrer les journalistes qui portaient ces sujets, enfin, les journalistes qui portaient ces sujets et qui étaient souvent très militants et des pionniers dans divers sujets. Et tu as tout un ensemble sur Libé et l’environnement. Alors, tu as un grand récit sur Libération et le climat, la question climatique. Tu as les animaux, parce qu’on a été pionniers là dessus. Et tu as la couverture du militantisme écologique. C’est vraiment une grosse partie de ce numéro là. Je ne sais pas quelles ont été tes sources, Julien, mais…

Lauren Provost

Internet. Le site internet. Sur le site. On n’a pas encore fait atterrir ça parce que ce numéro, il est encore en kiosque. O n fait une espèce de chronologie des médias où on essaie de laisser la primeur à ceux qui vont débourser quelques euros pour acheter ce hors série que je vous conseille toutes et tous. Et en fait, ces articles là, ces grands dossiers, on va les mettre sur le site à partir de septembre, on a une page spéciale où on mettra beaucoup de choses gratuitement pour toutes et tous. Et donc on va réunir ça par dossier. C’est normal que tu n’aies pas tout vu.

Julien Le Bot

En tout cas, en préparant l’émission, on s’est parlé un petit peu par téléphone et tu m’as dit si c’est vrai que peut être que cet aspect de l’histoire de Libération était un peu sous mise en valeur.

Lauren Provost

Oui, je pense.

Julien Le Bot

Est ce que tu as cette sensation qu’effectivement, il y a une méconnaissance ou en tout cas, à partir du moment où Libération s’est peut être éloignée de cette fibre historique, de cette sensibilité à la velorution ?

Lauren Provost

Je ne suis pas sûre qu’on se soit éloigné. Je pense qu’il y a toujours eu des journalistes qui ont porté le sujet en interne. En revanche, ce qui est sûr, c’est qu’on a eu du mal à Libération pendant un moment à parler de nous, un peu de timidité, puis de dire « ce n’est pas nous, on s’en fiche de nous, de comment on travaille. » Et aujourd’hui, on reconnecte un peu avec ça. 50 ans, c’était le fait d’avoir 50 ans. Tu fais une petite crise de cinquantaine, tu te poses, tu dézoomes, tu regardes un peu qui tu es, quels sont tes fondamentaux, quels sont les combats qui te portent. Et en fait, ça nous a tous servi cette année là pour se dire « OK, voici notre ADN, qu’est ce que c’est ? À Libération, quels sont les combats qu’on a portés depuis 50 ans ? Et en fait, on s’est rendu compte avec plaisir, mais aussi, quand tu dis « OK, ça veut dire que c’était pas gagné », que c’est toujours les mêmes combats. Donc ça veut dire que ça fait 50 ans qu’on écrit sur des sujets, qu’on alerte sur des sujets et sur le climat tout particulièrement.

Lauren Provost

En fait, ce qui est assez vertigineux, c’est qu’aujourd’hui, on chronique les catastrophes qu’on a annoncées dès les années 1980. Libé, c’est 1973. On ne va pas dire qu’on parle de climat ou de réchauffement climatique dès 1973, ça, ça serait faux. Jusqu’aux années 80, c’est beaucoup de Unes sur des catastrophes. Tu le disais, je suis revenue avec des Unes. J’en ai trouvé l’île d’Ouessant sous une mare de pétrole, des catastrophes comme les fuites Seveso en Italie, des grandes catastrophes. Ça, ça va permettre de parler de la thématique environnementale, mais toujours à travers… Au début, c’est via des catastrophes. Et on a retrouvé avec l’équipe la première une qui parle vraiment de climat, vraiment réchauffement climatique. C’est mars 1989. C’est un clin d’œil à Hergé. Déjà, il y a une maquette qui est assez sympa où ça s’appelle la manchette. Désolée, c’est du jargon, mais pour les non journalistes, c’est le gros titre de Libé. La Manchette, c’est « Objectif Terre ». L’accroche d’actualité, c’est la parution de plusieurs études et de cris d’alarme de plusieurs scientifiques, déjà en 1989, sur le réchauffement climatique. Ils voient le dérèglement arriver. Et voilà, il y a un clin d’œil à la Hergé, il y a la Terre…

Julien Le Bot

Sachant que la vision de la Terre est aussi, pour le mouvement écologiste un symbole extrêmement fort depuis les années 1970 et les premières images de la NASA.

Lauren Provost

Voilà, donc la première une est raccord avec l’époque. Ça, c’est mars 1989 et dans la foulée, en juin 1989, ils font un hors série. Je n’ai pas encore pu le consulter, mais j’ai demandé à l’équipe de la doc si je pouvais mettre la main dessus. Ils sortent un hors-série qui s’appelle « La Terre perd la boule ». Alors là, je sors mes antisèches parce que je n’ai pas la prétention de me rappeler de l’édito par cœur. Mais ce qui est incroyable, c’est que dedans, comme je te disais, t’as tous les thèmes. En fait, t’as déjà tous les thèmes. Tout est déjà là, en fait. Mais c’est pas forcément une bonne nouvelle. Mais déjà, en 1989, on écrit « Les bouleversements écologiques nés d’un réchauffement climatique global prévu pour les prochaines décennies vont sans aucun doute tournebouler le visage de la Terre. Migration, mutations industrielles et agricoles, les meilleures recettes technologiques ne suffiront pas. Et à l’intérieur, t’as un scientifique qui s’appelle Jean Marie Martin, qui prédit déjà que le niveau des mers va monter d’un mètre en 2050. On reproche souvent à une génération d’avoir fermé les yeux, d’avoir rien fait. Là, on peut se dire « Oui, en fait, on l’avait écrit, on l’a dit, on a dit, on l’a affichée en Une. »

 

Lauren Provost

Je t’ai amené quelques « Une » de Libé des années 80 jusqu’aux années 2000, 2010 et plus récemment. Et en fait, avant les grands sommets, avant tout ça, il y a déjà des une sur le réchauffement climatique, sur la chaleur, sur les rapports des scientifiques. Il y a un aspect très science.

 

Julien Le Bot

Sur les alertes du monde scientifique.

Lauren Provost

C’était eux les lanceurs d’alerte. Et t’as aussi tout cet aspect avec les associations, avec les militants du climat, avec les ONG lors des grands sommets. Tu as vraiment cet aspect que Libé a, et que d’autres journaux n’ont pas eu la chance d’avoir ou n’ont décidé pas à avoir. Mais ce côté, c’est un journal militant et qui a jamais eu peur de donner des coups à l’ultracapitalisme et du coup d’en dénoncer les ravages, et notamment en écologie, dans le domaine de l’écologie.

Julien Le Bot

Et qui ne s’est pas intéressé qu’à la gauche productiviste, mais aussi à la gauche qui avait une sensibilité écologique. Pas du tout. Peut être que ce qu’on fait ici souvent aussi pour raccrocher ta présence ici à l’histoire du média que tu codiriges, c’est de parler aussi de ton propre parcours et de la vision que tu peux avoir de la place de l’écologie dans les médias. Toi, au début de ta carrière, comme de nombreux journalistes d’ailleurs, tu es passé par la presse locale rapidement, Midi Libre, La Provence. Tu t’es bien renseignée. Est ce que tu as eu la sensation à l’époque que l’écologie, à l’échelle locale notamment, était une question dans la rédaction ?

Lauren Provost

Pas du tout. Non, vraiment pas du tout. Après, j’étais en local, donc tu traites de sujets locaux.

Julien Le Bot

Et en même temps, en 2023, on voit bien qu’en local, il y a plein de questions qui sont liées à l’écologie.

 

Lauren Provost

Je suis tout à fait d’accord avec toi, ça a bien changé. Mais donc non, j’ai traité… Si, pour le Midi libre, je faisais souvent les brèves « Planètes », donc j’ai déjà dû traiter de sujets climat. Mais bon, si tu veux, je me rappelle de la rubrique toromachie, je ne me rappelle pas d’une rubrique environnement. Donc c’est assez parlant. Et ensuite à la Provence non plus.

Julien Le Bot

Non, non, j’ai… L’écologie n’était pas tellement une question.

Lauren Provost

Moi, je voudrais pas vexer les copains qui travaillent toujours là bas, mais vraiment non, c’était pas le cas. Et puis c’était avant les années 2010. Donc non, non, non. Pour moi, je n’ai rien vu de tout cela dans mon parcours PQR.

Julien Le Bot

Après ça, t’es passée par, très rapidement, Elle, t’as été blogueuse pour L’Express et puis ensuite, neuf ans au Huffington Post, deux journalistes à directrice de la rédaction. Alors, le Huffington Post, quelque part, a fait partie de ce moment de la vie des Internets où de nouveaux sujets ont commencé à monter dans l’espace public. D’abord parce qu’il y avait de nouveaux profils, les blogueurs qui n’étaient pas toujours au départ forcément des journalistes, et aussi parce que certains sujets ont commencé à monter, notamment via les réseaux sociaux, qui ont permis aussi l’émergence de thématiques qui étaient souvent pas ou peu couvertes par les médias. Est ce que tu as senti que sur les Internet, cette question de l’écologie, elle montait dans le débat public alors que des médias n’étaient pas encore capables de bien s’en emparer ?

Lauren Provost

Oui, tu sentais toute cette sphère militante qui existait, la twittosphère écolo, des débats qui émergeaient où… Tu vois, par exemple, tu parlais de Vélorution, les débats des cyclistes sur « cyclistes versus automobilistes et les mobilités », en fait, sur les réseaux, tu as une communauté qui est énorme, qui est changée beaucoup et donc on a déjà fait des sujets là dessus. Ce qui est amusant d’une certaine façon, c’est qu’on ne se rend pas compte qu’on assiste à l’émergence de quelque chose en allant chercher sur les internets des communautés. Je pense que je m’en suis pas rendue compte et qu’ en dézoomant un petit peu et en changeant de média, je me suis dit « Oui, en fait, on traitait d’écologie sans s’en rendre compte. C’était assez naturel. C’était aussi une rédaction beaucoup plus jeune. Donc voilà, on ne va pas se cacher qu’il y a un gap générationnel sur les préoccupations des journalistes. Là, aujourd’hui, à la rédaction, on parlait des profils des alternants qui postulent à Libération. Et donc, si les jeunes journalistes sont souvent intéressés par les VSS, les violences sexistes et sexuelles, tu as aussi beaucoup de profils de journalistes, de jeunes journalistes de Journée sans l’herbe qui arrivent et qui te disent « Moi, je veux être enquêteur environnement » qui sont vraiment sur ces thématiques là.

Lauren Provost

Et donc, au Huffpost, il y avait quand même ça. C’était un sujet naturellement appréhendé par les gens, des questionnements. Et les dernières années où j’étais là, on a monté des séries de vidéos sur la thématique écolo, sur les mobilités vertes. On avait mené des actions en interne, ce qu’on appelle du RSE, sur des calculettes à empreinte carbone numérique, qui est un sujet qui passionnait les gens. Nous, comme on n’avait pas de print, on était 100 % digital, se dire « OK, est ce que ces questions là nous concernent aussi ou est ce qu’on est des bons élèves ? »

Julien Le Bot

Là, tu parles du côté des salariés, c’est à dire…

Lauren Provost

Oui, voilà. Mais ça passionnait les gens de la rédaction parce qu’ils aimaient écrire sur ces sujets là, mais aussi se poser des questions sur leurs propres pratiques. Donc voilà, au Huffpost, si tu veux, j’ai pas eu besoin d’acculturer des journalistes. Ça s’est fait très naturellement et on traitait d’écologie sous bien des aspects, sans souvent se rendre compte de l’importance de ce qu’on écrivait.

Julien Le Bot

Est ce qu’il tend à accréditer que dans une partie des rédactions, on sous évaluait l’importance de ces sujets, voire de l’intérêt des citoyens sur ces sujets ?

Lauren Provost

Oui, bien sûr, et puis, tu avais avec le HuffPost, un dernier aspect, c’est que ça a été une rédaction globale avec une maison mère aux États Unis et des éditions partout dans le monde. Donc, en fait, on avait des discussions. On avait l’Amazonie qui brûle ou Los Angeles sous les flammes. Voilà, ça devient un sujet dont on s’en parle, dont on discute entre rédactions, dans une espèce d’Eurovision des rédacs des rédacs mondial et donc ça faisait émerger des sujets qui venaient de l’étranger très naturellement.

Julien Le Bot

Alors maintenant, tu es à Libération depuis bientôt deux ans. Alors entrons dans le dur, puisqu’on a parlé d’histoire. 2023, l’écologie à Libération, entre guillemets, combien de divisions ? C’est à dire, est-ce que vous avez un service dédié ? Comment vous traitez le sujet ?

Lauren Provost

Alors, ça vient de changer, ça a changé il y a trois mois. J’ai fait un break congé maternité pendant cinq mois et je suis revenue et les choses qu’on avait commencé à mettre en place se sont mises en place. Je suis revenue avec une cellule environnement en place.

Julien Le Bot

Donc, il y a une cellule environnement. Combien de journalistes dans cette cellule ?

Lauren Provost

On a une chef de cellule qui s’appelle Anne-Laure Barré, qui était au JDD auparavant, qui traitait des questions de santé, mais qui a une grosse sensibilité écolo sinon, évidemment, elle ne serait pas là. Et qui a quatre à cinq journalistes. Je dis quatre à cinq parce que là, il y a eu un congé sans solde, un remplacement. C’est mouvant, mais il y a ambition à ce que ça devienne… Que ça soit une équipe stabilisée à quatre ou cinq journalistes. Ce n’est pas un service, c’est une cellule. Pourquoi ? Parce qu’ on est sur un entre deux. Je sais que des médias ne veulent absolument pas de services environnement parce que ça doit être partagé par tous les services. Nous, ça a été long. Il y a eu plusieurs… Je peux faire un historique des différentes organisations qu’il y a eu à Libération. Mais tout a été testé.

 

[00:16:33.700] – Julien Le Bot

Surtout, pourquoi une cellule ?

 

[00:16:34.950] – Lauren Provost

C’est du truc interne, mais ça ressemble à un petit service, mais ça dépend quand même du service société où, de base, beaucoup de rédacteurs environnement ont travaillà. Anne Laure, ses missions, si elle m’écoute, si elle écoute ce podcast, elle rigolera, mais ses missions, c’est d’animer son équipe pour qu’on traite les infos environnementales au quotidien. Là où certains médias produisent… On a regardé un peu le Guardian ou autres, c’est plutôt trois news environnement par jour. Là, Libération, on est à plus de dix par jour. Donc, il y a un côté, on couvre vraiment de manière plus exhaustive le climat.

 

[00:17:06.970] – Julien Le Bot

Avec des objectifs quantitatifs que vous êtes fixés ?

 

[00:17:09.620] – Lauren Provost

Pas du tout. Mais on a regardé parce qu’on s’est dit « OK, ça envoie. » Donc, on a regardé les chiffres récemment, mais il n’y a pas d’objectif chiffré. Donc, il y a cette envie d’écrire plus sur le sujet. Ensuite, il y a une envie de sortir des infos sur l’environnement, des infos Libé aussi sur l’environnement. Parce qu’on voit que c’est ça aussi qui va aller chercher les gens. Et Anne-Laure, elle coordonne aussi ce qui est produit par les autres services avec des discussions avec les chefs de service, parce que c’est une réalité que, comme je te le disais, il y a énormément de journalistes qui sont intéressés par les questions dans tous les services. Et donc l’idée, ce n’est pas de leur dire « Non, non, les gars, vous n’écrivez plus sur l’environnement. » Mais de se dire « OK, il y a ça. Comment est ce qu’on travaille ? En bonne intelligence. » Et si on a besoin de référents, de journalistes, de se dire « OK, c’est un tel qui fait ça. Oui, il va parler à un tel. J’ai telle source, etc. Ou j’ai telle info, tient tel rapport. Est ce que j’ai vu cet angle là qui est économie ? Je veux en parler avec la journaliste qui est responsable de ça. Donc, il y a un grand besoin de coordination et d’être une locomotive aussi, en quelque sorte, d’avoir des forces nouvelles et d’être une locomotive. Donc, Anne-Laure vient d’arriver avec… Et on voit déjà les résultats, donc c’est super encourageant.

 

[00:18:32.150] – Julien Le Bot

Justement, peut être qu’on peut parler aussi des « Une » qui chez Libé, en fait, évidemment, même à l’heure des réseaux sociaux, on a un aspect marqueur très fort de la hiérarchie éditoriale. Récemment, vous avez mis à la Une des personnalités comme Valérie Masson Delmotte et même la semaine dernière… Camille Étienne le 15 mai, La sécheresse qui ne prend pas de vacances le 18 mai, Canada Dram le 19 mai, donc un appel à l’action, une espèce de rappel de la situation, une alerte aussi. Est ce que ça veut dire qu’aujourd’hui, chez Libération, vous faites aussi un effort pour qu’ à la Une régulièrement, le climat soit mis en avant ?

 

[00:19:11.280] – Lauren Provost

Là, tu vois, je suis partie avant le bouclage du journal puisque je devais te rejoindre, mais demain. On fait la une sur les… Donc demain, le 23 mai ? Oui, demain, le 23 mai, pour les auditeur.rices. On fait la Une sur les forêts françaises qui captent moins le CO₂ que… Tu vois ce côté, tu te rappelles les cours de SVT, le poumon, les forêts, le poumon ? Le poumon dysfonctionne plus que prévu. C’est encore une mauvaise nouvelle, mais du coup, on fait la Une encore demain. Tu peux en rajouter un à ta liste pour cette semaine là. À ta question, est ce que c’est un effort qu’on fait ? En fait, oui, il y a un côté, on veut afficher plus ça. Clairement, l’ambition, moi, pour moi, on l’a dit à personne, mais on s’en est parlé avec Anne Laure, on s’est dit « OK, c’est 2023, Libération, on est le journal de l’environnement. » Ça nous motive, on se dit en fait, on a les moyens pour, on a les bras pour, on a l’envie, on a la légitimité pour. On a ces effets dUne dont tu parles qui peuvent… On se retrouve avec nos Une dans des manifs pour le climat. Il y a des Une de Libé. Tu vas voir des expositions sur le changement climatique. Tu as des Une que j’avais faites l’été où je suis arrivée. Canada 49.6 avec un soleil qui te brûle la rétine. Celle là, je l’ai vue dans une expo. On a cet effet d’affichage. Et un autre atout qu’on a, j’en parlais tout à l’heure, c’est ce côté « On y va, on n’a pas peur de dire les choses et de dénoncer aussi l’ultracapitalisme et autres ». Donc, on ne pourra pas nous accuser de greenwashing ou de complicité ou autre.

 

[00:20:47.450] – Julien Le Bot

Justement, là, tu parles des mots, de la façon de le traiter. On se souvient, par exemple, de la de la polémique autour du terme écoterrorisme qui a été utilisé par Gérald Darmanin pour qualifier les heurts, à Sainte Soline dans les Deux Sèvres, entre les forces de l’ordre et les manifestants qui sont opposés aux mégabassines.

 

[00:21:06.700] – Julien Le Bot

Justement, pour ce qui a trait au mot, on a reçu une question qui nous a été envoyée par Lou Espargillière, qui est le rédacteur en chef de Vert et qu’on écoute tout de suite.

 

[00:21:17.470] – Loup Espargilière

Bonjour Lauren, ici Lou Espargillière, rédacteur en chef de Vert. Enchanté. Je n’ai pas eu le plaisir de vous rencontrer jusqu’à maintenant, mais j’espère que ce sera bientôt réparé. Et je voulais tout d’abord vous féliciter, vous, individuellement, mais vous aussi, Libération, pour la qualité de votre couverture des sujets environnementaux qui, je trouve, vraiment s’améliorent de mois en mois. Et voilà, c’est un vrai plaisir en tant que lecteur amateur de ces sujets là, de le constater jour après jour. Et alors, ma question qui a volontairement un petit peu taquine. Puisque vous êtes si bon sur l’écologie et que vous faites tout bien ou presque, pourquoi ne pas avoir signé la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique, comme l’ont fait 150 autres médias et notamment un paquet de journalistes, dont certains de Libération. Merci de votre réponse. Merci.

 

[00:22:02.420] – Julien Le Bot

Alors voilà, Lauren. D’ailleurs, je précise vous êtes 21 journalistes à Libération avoir signé. Pourquoi ?

 

[00:22:08.760] – Lauren Provost

Cette charte, elle arrive. Elle nous est présentée par des journalistes en interne. On se pose la question, on la reçoit, on la lit, on l’étudie, on en discute avec les journalistes en interne. Moi, je suis hyper emballée. Je crois que tu es coauteur, toi. Oui. Donc là, tu parles de septembre 2022, quand on prépare la sortie. Moi, je vois Sophie Roland, je crois, avec qui tu dois connaître. On en discute, etc. Et puis, en fait, est née une envie de faire la nôtre. C’est pas aller contre l’élan collectif, parce qu’on a tout de suite dit « Si vous avez envie de la. Signer, allez y. » Moi, je l’ai fait à titre personnel. J’en ai informé mes collègues à la direction. Il y a eu cette envie de faire la nôtre. Les atouts qu’on y voyait, c’était on se pose, on réfléchit à ce sujet là en interne plutôt que de juste « Par a fait, on signe. » Ce qui intéressait l’équipe, c’était le processus de ce que vous avez fait quand vous l’avez rédigé. Et je pense que tu montes en compétences, tu te poses des questions sur ton fonctionnement interne. C’est plus engageant, ça prend plus de temps. Mais au final, on s’est dit peut être naïvement qu’on gagnerait plus à faire ça.

 

[00:23:18.020] – Julien Le Bot

Et bilan des courses ?

 

[00:23:19.550] – Lauren Provost

Et bilan des courses. Là, moi, je suis revenue, comme je disais, après une période off et ça n’a pas trop avancé. Donc j’ai reposé la question en revenant parce que ça me tient à cœur et visiblement, il y a toujours cette envie de faire cette charte Libé. Mais moi, je me suis clairement posée la question, puisqu’on discute, c’est une discussion ouverte, je te fais part de mes doutes et questionnements, puisqu’on apprend en marchant. Est ce qu’il faut rejoindre l’élan collectif ? Parce que c’est ça que tu as envie d’encourager. C’est pour ça que je l’ai signé. Je trouve ça super qu’on y aille tous ensemble et qu’on se mette dans la même dynamique. Je n’ai pas la réponse, mais là, quand je suis partie de la rédac tout à l’heure, j’en parlais encore avec Olivier Monnot, qui est un de nos journalistes, plutôt casquette science, mais qui est très féru d’environnement. Et on se disait « Bon, on va se relancer ce groupe de travail, on va se mettre autour de la table. » Donc il y a toujours cette ambition là, mais peut être que si tu me reparles dans deux mois, je te dis « OK, on signe cette charte. » Mais là, l’envie est toujours de faire la nôtre et pour cette raison d’envie de former la rédaction, mais aussi toutes les équipes de Libé, puisqu’on est tous dans les mêmes locaux, on a des équipes transverses et donc il y a une action de formation qui est en train de se lancer. Un peu comme les confrères du Monde qui ont fait la fresque du climat, on est en train de faire la même chose en interne avec une formation de tous les membres de l’équipe d’ici la fin d’année. On est déjà en juin, donc on va dire dans un an, à juin 2024, de tous les membres de l’équipe Libé, journalistes mais non journalistes aussi, avec une brique Fresque du climat, mais aussi on est en train de chercher… C’est ça qui fait qu’on a pris un peu de retard parce que depuis que je suis rentrée, j’ai dit « Ouais, mais la Fresque du climat, est ce que ça suffit ? » Et du coup, on serait plutôt sur ce que font actuellement pas mal de hauts fonctionnaires de faire « Fresque du climat » plus quelque chose qui correspondait peut être plus à nos formations de journalistes, à nos listes pour prendre en compte les enjeux socioéconomiques, ce qui est souvent un reproche qu’on fait à la fresque du climat. Désolée pour le créateur, mais c’est un super outil. C’est quelque chose que j’entends beaucoup sur mettre un peu sous le tapis les enjeux sociaux économiques. Même si ce n’est pas son ambition. Pas du tout.

 

[00:25:45.550] – Julien Le Bot

C’est un outil juste pour comprendre l’aspect systémique des règlements climatiques.

 

[00:25:49.000] – Lauren Provost

Mais peut être pour des gens qui connaissent un peu plus, qui sont dans le milieu de la presse, on se pose la question de qu’est ce qu’on fait en plus ? Et donc on a des discussions, on fait des tests sur le jeu de plateau Planète C et l’atelier deux tonnes aussi, le jeu de cartes, pour rajouter une brique pour celles et ceux qui le souhaiteraient, pour aller un peu plus loin dans la formation. En tout cas, il y a un élan collectif.

 

[00:26:15.230] – Julien Le Bot

Dans l’exploration, au sein des équipes…

 

[00:26:19.270] – Lauren Provost

C’est une façon de se former, mais la Charte, une des raisons de faire la note, moi, je pense que si on y arrive, c’est l’occasion d’embarquer plus de gens que juste dire « Coucou les gars, on a signé la Charte et voilà les objectifs. Sachant que ce qui est rassurant, c’est qu’ on la respecte, la charte. Sans l’avoir ciliée en tant que média Libération, elle est respectée. Vous avez un souci sur les ordres de grandeur ?

 

[00:26:43.370] – Orateur 2

Les ordres de grandeur, les déplacements, on avait pas.

 

[00:26:46.080] – Orateur 1

Mal parlé. Vous tenez une comptabilité de tous les déplacements et de coûts de carbone.

 

[00:26:50.600] – Orateur 2

De chacun des déplacements ? Non, on ne fait pas de calculs de carbone.

 

[00:26:54.520] – Orateur 1

Mais d’ailleurs, on peut en parler parce que j’ai eu des débats passionnants là dessus. On ne fait pas de calculs de carbone, mais si tu veux, on a un réseau de correspondants et locaux pour le territoire, mais aussi à l’étranger, où on ne fait pas du parachute journalisme, où on envoie des gens, tu vois, allez, OK, on part à Mayotte, on envoie quelqu’un depuis Paris, il prend l’avion. Non, en fait, on a des gens sur place ou très proches et quand on fait des grands déplacements pour des sujets, on va toujours mutualiser ça avec autre chose. C’est vraiment pensé. Après, en France, on se déplace majoritairement en train ou on a des correspondants sur place. On a deux voitures, on a un parc auto de deux bagnoles qui sont des hybrides. C’est parce qu’on est une rédaction qui roule pas sur l’or non plus. On a des enjeux économiques qui ont fait qu’on était… C’est pas de l’austérité, mais voilà.

 

[00:27:44.280] – Julien Le Bot

Par la force des choses sensibles à la question de la frugalité et de la sobriété.

 

[00:27:49.650] – Lauren Provost

Oui, voilà, si tu veux, ça se fait assez naturellement. Et puis ça a toujours été dans l’ADN de Libé. On était là « C’est super, on pourrait la signer demain si on voulait parce que ça demanderait pas une révolution en interne. » Donc ça, c’était assez rassurant. Mais bon, après moi, là, moi, je l’ai signé à titre personnel. Je félicite tous les médias qui ont rejoint l’élan. Et si ça a pu faire bouger les choses en interne chez eux, c’est génial.

 

[00:28:20.390] – Julien Le Bot

En tout cas, pour revenir sur la question éditoriale à proprement parler, un aspect fondamental et qui n’est pas toujours compris, en tout cas, c’est le fait qu’ il y a un enjeu très, très important qui est celui de la justice climatique. Et forcément, pour un média de gauche ou assimilé à des sensibilités de gauche comme Libération, évidemment, c’est essentiel. Alors, comment faites vous pour continuer de démocratiser le fait que la question de la transition écologique, c’est une question sociale ?

 

[00:28:45.390] – Lauren Provost

Comment tu le démocratises ?

 

[00:28:46.600] – Julien Le Bot

Est ce que vous avez un effort de pédagogie particulier et comment vous faites d’ailleurs pour évaluer dans les articles, tu veux dire ? Les articles, la couverture, tous les formats que vous faites ?

 

[00:28:56.680] – Lauren Provost

Déjà, dans les articles, il y a un gros effort de pédagogie. On a la chance d’avoir une équipe infographie data qui est géniale et on les utilise beaucoup. Les pauvres, ils ne sont peut être pas assez nombreux pour tout ce qu’on leur demande. Mais là, par exemple, aujourd’hui, sur l’exemple que je te donnais de l’événement, ça veut dire le dossier qu’on met en une dans le jargon libé, l’événement sur les forêts. En fait, pour nous, c’est impensable. Il fallait qu’il y ait une infographie pour expliquer la captation de CO₂ par les forêts ou de pouvoir se rendre compte de l’ampleur des choses. Donc, il y a un effort de pédagogie dans le texte, dans la façon d’écrire, etc, mais t’as aussi vraiment un côté data, montrer, explicatif qui est important et qui est renforcé, que tu retrouves sur le print comme sur le journal papier, mais aussi sur le digital. Il y a un effort de titraille. On travaille beaucoup dessus avec Anne Laure Barré, qui nous a rejoints, et l’édition sur la façon de titrer ces sujets pour qu’ils soient concernants. On se pose des questions aussi. Moi, ça me tient à cœur. Libération, tu disais que tu lisais quand tu étais étudiant, moi aussi, et je lisais plus Libé que Le Monde parce que c’était pas chiant. C’est vrai que tu t’amuses en le lisant et quand je passais les concours des écoles et que tu dois ficher les journaux, je fichais Libé, mais parce que c’était pas fastidieux. C’était toujours amusant et engageant, ça donnait envie. Et sur l’environnement, il y a un objectif qui est de comment est ce qu’on écrit ? Comment est ce qu’on fait des nouveaux récits ? Je sais que la fiction se pose beaucoup la question. On connaît Cyril Dion sur sa façon de vouloir embarquer les gens par des nouveaux récits audiovisuels. Mais il y a une vraie question à se poser sur la presse écrite, sur comment est ce que tu parles d’environnement ?

 

[00:30:38.680] – Julien Le Bot

Et même, on pourrait se poser la question et c’est une question qu’on s’est posée en préparant l’émission. Comment vous faites pour évaluer le niveau de vos lecteurs.

 

[00:30:47.110] – Lauren Provost

On parle à tout le monde. On essaie de… Moi, je dis tout le temps ça. Je dis, il faut que ma mère, elle comprenne. Je vais voir les journalistes et je leur dis tout le temps…

 

[00:31:11.820] – Julien Le Bot

Donc, ce que tu veux dire, c’est que même si çafait longtemps que vous êtes positionnés sur ces enjeux là, vous continuez d’avoir une impression qu’il faut…

 

[00:31:20.320] – Lauren Provost

Tu as une exigence de renouvellement d’angle. Par exemple, le réchauffement climatique, la biodiversité, on est bon là dessus depuis très longtemps, mais il y a énormément de sujets qui sont passionnants pour un grand public qui commencerait à s’intéresser à la question et qui sont aussi des sujets qui sont sous exploités, même au sein des militants écolo. Je vais te prendre l’exemple des sols. Là, avec la sécheresse, on en a beaucoup parlé, mais les nappes phréatiques, la captation de CO₂ par les forêts, c’est quand même pointu. Donc même des militants écolo de la première heure ou des lecteurs de Libé des années 80, je pense qu’ils n’ont pas tout lu là dessus. Donc sur le fond, vous faites en sorte de… En fait, tu as toujours cette envie d’aller chercher des angles nouveaux, parce que ça, c’est notre métier et c’est une exigence journalistique quotidienne. Mais il faut que quelqu’un qui débarque puisse le lire autant que quelqu’un qui nous lit tous les jours.

 

[00:32:10.570] – Julien Le Bot

Donc sur le fond, hyperaccessibilité. Sur la forme, sur le ton, tu disais qu’il y avait ce côté un peu cool. Il y a Climax qui est en train de développer un certain ton autour de l’éco joyeuseté de la transition. Il y a Socialter, il y a Bon Pote aussi qui a une façon de se positionner.C’est quoi la marque de fabrique de Libé dans sa petite raille, ses mots sur cette transition. Comment tu l’as décrit ?

 

[00:32:36.180] – Lauren Provost

Là, c’est working progress. Déjà, par exemple, la semaine dernière, on a banni le fait qu’on met le mot clé au rapport dès qu’on parle d’un rapport environnemental. Parce qu’en fait, finalement, bien sûr, on attend libération sur l’analyse de grands rapports et d’actualités comme ceci. On a des journalistes qui sont excellents pour les décrypter, les analyser et apporter vraiment une belle valeur ajoutée. En revanche, on se rend compte que quand on écrit au rapport, ça intéresse peut être moins les gens. Donc on a dit « OK, on arrête d’écrire aux rapports dès qu’on fait un rapport qui était un jeu de mots qui venait d’une rubrique Libé. »souvent, il y a des héritages comme ça, culturels, et tu te les trimballes pendant des… Tu ne sais même plus pourquoi on écrit ça. Donc voilà, on essaie de renouveler, d’être sur de la titraille toujours… Je n’aime pas le côté toujours drôle, parce que sur ce sujet là, on ne peut pas être marrant tous les jours, ce n’est pas vrai. Mais si on peut l’être…

 

[00:33:30.780] – Julien Le Bot

Tu ne ne peux pas être catastrophiste tous les jours, sinon… C’est ça.

 

[00:33:34.630] – Lauren Provost

Et tu parles de catastrophisme et c’est une vraie question qu’on a en interne. Et on voit que c’est pour tous les médias, un ne sait pas que Libé. C’est qu’une des causes de désabonnement des gens aux médias, c’est que ça les déprime. C’est news anxiety, c’est pour l’écologie, la solastalgie, on connaît tout ça. C’est l’anxiété liée à la foi ou à l’info ? Oui, l’anxiété liée à l’information. Quand tu lis et que tu t’intéresses à l’environnement, c’est dur d’avoir des bonnes nouvelles. Même les journalistes qui travaillent dans ce service, moi, je leur demande tout le temps « Ça va ? Tu vas bien ? » Parce que comme beaucoup d’autres services dans un quotidien comme Libération, on traite de sujets difficiles, mais l’éco-anxiété et le fait d’être le nez plongé là dedans toute la journée, c’est un vrai truc. Donc, on pense aussi à nos lecteurs sur comment est ce que quand tu annonces une catastrophe, tu essaies quand même de trouver quelque chose, d’avoir des angles. On fait du journalisme de solution depuis des années. On a un Libé des solutions chaque année, un moment dédié à ça. Mais par exemple, sur le journalisme de solution, l’an dernier, on a lancé une grande série de reportages à l’international avec nos correspondants et nos pigistes, des photographes locaux et des journalistes locaux. On est allés voir les pays où on pense que c’est les plus mauvais élèves ou qui sont le plus dans la mouise côté catastrophe environnementale. Et on est allés chercher à chaque fois un projet, quelque chose qui fait bouger les lignes. Ça s’appelle Piste verte.

 

[00:34:59.080] – Julien Le Bot

Bouger les lignes localement ?

 

[00:35:00.200] – Lauren Provost

Oui, localement, à l’échelle locale. Donc c’est du journalisme de solution.

 

[00:35:03.510] – Julien Le Bot

Mais du point de vue de l’adaptation, c’est problématique parce qu’on pourrait aussi te dire, le problème, c’est que les solutions ne sont pas toujours à la hauteur d’un enjeu qui est global. Et donc, même si on a une solution sympa, par exemple, pour sortir ou améliorer l’accès à l’eau dans une zone qui est en difficulté, si les grands pollueurs, les grandes puissances économiques continuent de fonctionner de la même manière, ça ne changera rien.

 

[00:35:26.710] – Lauren Provost

Ce n’est pas les petits gestes. Et dans le journalisme de solution, tu te dois, si tu fais du bon journalisme de Solutions, d’aussi dire les limites des projets. On a pas mal travaillé dessus avec Sophie Roland dont je parlais tout à l’heure puisqu’elle a coécrit la charte avec vous. En fait, tu te dois de donner les limites et d’essayer de montrer ce qui est exportable ailleurs. Mais ça veut pas dire que tu dis « Tout est rose, génial, on va sauver la pollution des rivières parce qu’ on a inventé un bateau qui dépollue. » C’est pas ça l’idée. Mais donc, on est obligé de chroniquer les choses qui vont mal, mais aussi d’apporter aussi, de chercher des choses qui peuvent donner un peu d’espoir et qui peuvent être des modèles d’adaptation. J’espère avoir répondu à tes questions.

 

[00:36:09.590] – Julien Le Bot

L’écologie, c’est de la politique, c’est de l’économie, c’est de l’énergie, c’est de la vie, c’est de l’international évidemment, mais la culture aussi, évidemment, a son rôle à jouer, notamment pour changer ou faire évoluer les imaginaires.

 

[00:36:20.350] – Julien Le Bot

Libération a organisé au Centre Pompidou, c’était en décembre 2022, trois jours de débats et d’échanges sur le thème de la transition écologique. C’était « quelle culture pour quel futur ? » Avec des questions comme « les journalistes se doivent de faire le récit incarné de la question climat », avec des enjeux autour de « la décentralisation de l’art, c’est à dire comment on fabrique de la sobriété énergétique sans renoncer à la démocratisation culturelle ». À l’heure où nous parlons d’ailleurs, il y a le festival de Cannes qui est tout sauf sobre et qui pourtant est un événement important d’ailleurs pour Libération. Est ce que vous avez une réflexion particulière sur l’évolution de votre couverture de l’actualité culturelle à Libération ?

 

[00:36:55.590] – Lauren Provost

Tu me poses une colle un peu. Oui, on réfléchit tout le temps. Quand tu fais un quotidien, tu es obligé de te poser des questions tous les jours, mais tu es obligé aussi de dézoomer un petit peu, de te poser. Donc là, le Festival de Cannes, c’est pas un moment où on se pose parce que tout le service culture travaille en fait, on est le seul média qui chronique tous les films du Festival de Cannes, mais vraiment tout. La sélection officielle, tout le Certain Regard, tout. Donc là, c’est pas le moment où ils vont se poser des grandes questions structurelles. Mais dans les œuvres qu’on met en avant, par exemple, c’est des choix éditoriaux. Hier, Le coup de cœur, l’ouverture du Cahier Cannes et le coup de cœur de Didier Peron, le chef du service Culture, c’est un film qui se passe dans la forêt amazonienne, qui apporte, qui a un nouveau récit sur l’écologie d’une certaine façon. Donc, ils vont être, je pense qu’ils sont plus sensibles, plus sensibles à ces thématiques là, mais comme l’est le cinéma ou comme les sont les producteurs de contenu culturel. Mais le rôle de critique, et là, ça fera peut être plaisir à Olivier Lame, qui chronique la musique chez nous, mais aussi bien d’autres sujets, souvent, il me dit que le rôle de critique, c’est de faire prendre conscience eux mêmes aux créateurs de contenu de ce qu’ils font et que quand tu crées une œuvre, tu ne t’en rends pas compte de ce que tu es en train de faire. Et donc, le critique doit donner la clé de lecture. Et je pense que pour beaucoup d’œuvres, tous ces cinéastes ou créateurs d’art divers et variés qui traitent d’environnement et de ces questions là, c’est peut être en lisant les critiques de libé qu’ils se rendent compte qu’ils ont fait une œuvre révolutionnairement écologique.

 

[00:38:31.700] – Julien Le Bot

D’ailleurs, c’est marrant parce que vous que le journaliste Didier Peron, dont tu parlais, évoquait en tout cas l’histoire d’un manifeste du collective Cut et qui montre bien qu’il y a des dissonances énormes. Cannes, c’est dantesque et tous les rêves chromés comme ça des célébrités n’ont rien à voir avec la frugalité ou la sobriété qui normalement doit être à l’horizon pour les sociétés qui souhaitent s’adapter.

 

[00:38:52.070] – Lauren Provost

Oui, puis là, tu as eu les yachts à Cannes, les jets privés à Cannes. C’était une belle illustration.

 

[00:38:57.280] – Julien Le Bot

Mais on pourrait imaginer par exemple, que Libération travaille sur les trackers, par exemple, des mobilités des célébrités ?

 

[00:39:03.080] – Lauren Provost

Oui, on le suit, on le chronique. Alors, celui de Cannes, il est sorti de nulle part, on ne l’a pas vu venir. Autant on avait anticipé les actions des colleuses sur les violences sexistes et sexuelles dans le cinéma, on les a suivis, etc. Sur les trackers, oui, complètement. On a fait le sujet, mais on l’a découvert en même temps que tous les médias quand ils ont commencé à afficher les yachts et les bilans carbone de ces gros bateaux sur la Croisette.

 

[00:39:28.060] – Julien Le Bot

On a parlé des mots, on a parlé de la culture et des différents secteurs. En termes d’image, Libération, c’est aussi un service photo, une iconographie et pas seulement sur les Unes. Est ce qu’il y a un credo aussi sur la mise en image de la transition chez Libération ? Comment est ce qu’on fait pour la rendre désirable ? Est ce que vous travaillez sur cet aspect là ?

 

[00:39:46.760] – Lauren Provost

Oui, on est obligé de travailler dessus parce que, comme tu disais, le poids de la Une à Libération, il est très, très important. Quand on doit faire des unes sécheresses, quand on doit faire des Une sur les forêts qui vont pas bien, etc. Tu tournes vite en rond. Été 2022, comme beaucoup de médias, on a été percuté par la violence de tous ces sujets et on a dû faire énormément de « une » sur le sujet et il fallait se renouveler. Donc tu te retrouves à regarder, à voir des grosses discussions sur comment on va illustrer ça, comment ne pas faire quelque chose de gaguesque parce que ce n’est pas drôle, mais en même temps, c’est l’été. Comment ne pas commettre d’impair ? Les journalistes en interne sont très conscientisés, aux services photo, très conscientisés, mais on a fait une boulette, une fois, ou une boulette, j’exagère, mais on a eu une photo sur un article parmi les dizaines et dizaines qu’on a fait tout au long de l’été 2022. En plus, l’iconographe, il revenait d’un arrêt maladie long. Le pauvre, il a vraiment pas vu venir le truc et il a choisi, malheureusement, une photo de quelqu’un qui était à demi allongé dans un parc, comme si on pouvait penser, mais lui, il a pas du tout lu comme ça. C’est ça qui est intéressant. Une image, t’as 1 000 lectures différentes et certains ont vu dans cette image « Ça y est, on a montré pour illustrer le problème des fortes chaleurs et le dérèglement climatique, on a montré quelqu’un en train de chiller dans un parc à Paris. C’est une honte. Et comme Libération est très regardée, ça a été vachement repris. Il y a eu des débats là dessus. Pour illustrer, on n’était pas les plus grands fauteurs de l’été 2022. Il y a eu des médias bien plus affichés avec des trucs bien plus problématiques. Mais c’est vrai qu’on s’est retrouvé, alors qu’on fait très, très attention à ça, une toute petite erreur, ça a été monté en épingle. Et je me rappelle, on a cette culture du débat collectif à Libération, ça s’appelle le comité de rédaction. C’est à 15h00 aujourd’hui et t’as des grands débats souvent au début. On se dit « Qu’avez vous pensé de ce qu’on a produit ces dernières 24 heures ? » Et il y a eu une levée de bouclier contre cette illustration d’articles. Et je me suis rendue compte à cette occasion là de la conscientisation en interne sur ce poids de l’image et pour illustrer les sujets environnementaux et de l’ampleur que ça peut prendre, donc une toute petite bavure.

 

[00:42:08.370] – Julien Le Bot

Et la difficulté de réussir à mettre en image de manière adaptée ?

 

[00:42:11.470] – Lauren Provost

On envoie des journalistes, on lance des prods, on fait des pitchs, on pitch aux photo reporteurs qu’on envoie. On s’est beaucoup posé la question, quand on commandait les sujets dont je te parlais, Pistes vertes, sur les reportages à l’international, de comment tu montres, vu qu’on était sur des choses positives, mais tu montres quand même des endroits qui ne sont pas au top. Comment tu montres que ça est en train de bouger ? Comment tu montres que ça va mieux ? Comment tu traites ça ? Est ce que tu fais de la pause ? C’est vraiment challengeant, mais on se pose ces questions tout le temps sur chaque sujet. Et là, je voulais regarder avant de partir comment on illustrerait cette fameuse Une sur les forêts demain, mais j’aurai la surprise parce qu’on n’avait pas pu avancer à la maquette. Mais c’est des processus qui, tout au long de la journée, la maquette travaille sur les Une de Libé, le service photo fait des propositions. Parfois, on va être avec des typos, de l’infographie en Une. On essaie de varier vraiment, mais c’est passionnant parce qu’on apprend tous les jours.

 

[00:43:07.330] – Julien Le Bot

Là, on parle de formats assez classiques. On est entre journalistes, on parle du journal, on parle du site Internet. Est ce qu’en termes de format, vous allez aussi sur de nouveaux espaces pour aller chercher de nouveaux publics ou entretenir une dynamique un peu différente ? Je sais que vous avez, par exemple, le fil vert qui est l’infolettre de libération sur les questions environnementales. Au micro, ici, des Médias se mettent au Vert, on avait eu Nabil Wakim, qui est journaliste et podcasteur de Chaleur Humaine au Monde et qui propose à la fois un podcast, une newsletter et il échange directement avec l’audience. Il répond à des questions. Il fait aussi des liens vers l’extérieur. Quel est l’état de votre réflexion sur cette façon de couvrir et d’accompagner les audiences, les publics, peut être de nouveaux publics dans la transition ?

 

[00:43:50.150] – Lauren Provost

Tu as parlé du fil vert. Ça a été lancé en 2019 et c’est une newsletter environnement. Pendant plus de deux ans, il y a eu des chroniques quotidiennes et c’était une façon que tu les reçoives directement dans ta boîte mail. Aujourd’hui, c’est une de nos plus grosses newsletters. Le fil vert. Oui, elle fait partie de nos principales. Elle est deux fois par semaine. Elle est de quoi par semaine ?

 

[00:44:12.850] – Julien Le Bot

Elle est de combien d’abonnés, par exemple ?

 

[00:44:13.830] – Lauren Provost

25 000. Elle est de quoi par semaine ? Elle est de 25 000. Elle est de 20 000 abonnés, t’as 40% de taux d’ouverture, ce qui est bien. Les journalistes sauront, mais s’il y a d’autres gens qui écoutent, c’est bien. C’est deux fois par semaine, donc c’est une newsletter qui marche bien, qui continue de progresser. En vidéo, on essaie de mettre en image nos sujets. On a un service vidéo où on met en avant nos productions. Quand on a un sujet qui nous tient à cœur, un gros dossier, quelque chose, on essaie aussi de le raconter, que les journalistes qui ont participé à ces sujets là viennent le raconter pour aller chercher aussi des publics qui vont pas naturellement se tourner vers nous et qui vont les découvrir via les réseaux sociaux et qui vont venir le lire. Ça, on le fait pour tous les sujets, mais il faut qu’on le fasse plus pour l’environnement et ça va être possible grâce à la cellule, c’est dans les tuyaux. Et puis là, l’année de nos 50 ans, on a lancé le Climat Libé Tour. Je ne sais pas si tu connais.

 

[00:45:08.480] – Julien Le Bot

Si, on allait en parler juste après. Sur l’aspect un peu présentiel. C’est quoi déjà le Climat Libretour ? Qu’est ce que c’est le climat Libé Tour ?

 

[00:45:17.740] – Lauren Provost

Le climat Libé Tour, c’est Libération qui organise des conférences, mais aussi des ateliers, des expériences sur la thématique du climat. Où ça ? Dans les territoires, mais pas n’importe quel territoire. Ça veut dire pas à Paris ?

 

[00:45:32.760] – Lauren Provost

Dans les territoires, ça veut dire pas à Paris ?

 

[00:45:34.590] – Lauren Provost

Il y a eu Paris, mais tu vas voir, il y a une logique derrière ça. En fait, c’est parti de quoi ? C’est parti de l’Union européenne qui fait un appel pour trouver 100 villes qui devraient atteindre la neutralité carbone en 2030. Et il y en a neuf françaises. Et nous, on avait envie de… Il y a les forums Libé, ça existe depuis longtemps, mais on avait envie de centrer sur cette thématique de l’environnement. Encore une fois, on se dit qu’on se donne l’ambition d’être le journal de l’environnement. Il fallait aussi que ça se voit dans la vraie vie, la rencontre des gens. Et donc on se dit « OK, il y a neuf villes qui se positionnent pour Neutralité Carbone 2030. Go, on y va et on monte des choses avec elles. »

 

[00:46:16.220] – Julien Le Bot

Donc là, par exemple, il y a quelques jours, vous étiez à Lyon. Qu’est ce qui se passe dans un Climat Libé Tour ?

 

[00:46:21.810] – Lauren Provost

T’as des conférences avec des thèmes variés. À Lyon, il y en avait une, c’est « Comment circuler sans tout cramer ? » C’était beaucoup autour des… T’as des grands thèmes, là, c’était beaucoup autour du transport. Lyon, ville du Vélov avant le Vélib. Tu as toutes ces questions là. Marseille, par exemple, ça va être en décembre et ça va être sur toutes les pollutions. On va prendre un peu de des grands thèmes. Et là, c’est toutes les pollutions. C’est sonore, lumineuses, pollution plastique, pollution de la mer, pollution urbaine. Je pense qu’on va choisir un thème qui est propre à la ville. Paris, ça a été beaucoup. La chaleur. On sait, Paris y a Paris 2050, 50 degrés. Ça a été beaucoup autour de ça. Chaque ville, on adapte aux thématiques qui concernent particulièrement les habitants de cette ville.

 

[00:47:07.330] – Julien Le Bot

Et est ce que tu penses que vous y gagnez des lecteurs quand on est Libération et qu’on se lance une action présentielle dans une action présentielle, dans des rencontres, dans de l’animation de conférences, qu’est ce qu’on y gagne ?

 

[00:47:18.420] – Lauren Provost

Déjà, toi, tu te nourris quand tu y vas. Les journalistes qui y vont, ils en ressortent vraiment nourris. Oui, on gagne des abonnés, c’est forcé, parce que tu as des gens qui connaissent… Si tu viens, c’est que tu connais l’IB ou alors que tu es passionnée de climat. Et souvent, c’est des gens qui nous lisent occasionnellement. Et puis voilà, c’est une occasion d’aller leur dire qu’on est le journal de l’environnement et qu’on traite de ces thématiques là et que le journaliste qu’ils ont vu animer la table ronde ou participer à telle table ronde ou avec qui ils ont fait un atelier l’après midi, ils peuvent le lire. Il y a de l’abonnement derrière, mais il y a aussi… C’est aussi une façon de diversifier ce qu’on crée. On crée du contenu à partir de ça. On va chercher de l’abonné, c’est à 360 degrés. Et il y a une ambition aussi de faire toutes ces villes là et de… On est un peu le médiateur. Ça, c’est assez marrant, on s’en est rendu compte au fil de l’eau avec Yoann et Maude qui travaillent sur le Climat Libé Tour. C’est qu’en fait, toutes ces villes, elles ne se parlaient pas. Tu as neuf villes qui ont le même objectif, mais qui ne se parlent pas parce que ce sont des mairies différentes. Des fois, c’est la métropole ou c’est des courants politiques différents. Et en fait, Libé, on sert de médiateur d’une certaine façon. Par exemple, on a fait Paris dont tu parlais. Après, on est allé à Lyon et donc il y avait quelqu’un de la mairie de Paris qui est venu à Lyon parce qu’il y avait ça. Du coup, il suit la caravane et ils mettent en commun. Mais on se rend compte qu’on devient le médiateur de toutes ces villes.

 

[00:48:45.540] – Julien Le Bot

Vous êtes un média.

 

[00:48:46.620] – Lauren Provost

Oui, voilà, média, médiateur. Voilà, donc les objectifs, ils sont pluriels.

 

[00:48:50.310] – Julien Le Bot

Mais un média national qui s’intéresse comme ça aux contradictions qui se font jour sur un territoire, est ce que c’est pas un peu en situation de force pour aider à ce que les contradictions soient abordées ? Un média de proximité, pour lui, c’est très compliqué parfois de couvrir ça parce qu’il est très près des parties prenantes. Il a ses annonceurs, il a ses lecteurs. Il risque de fâcher des gens et il ne veut pas non plus. Est ce que tu sens aussi cette petite différence et cette capacité en tant que média national ?

 

[00:49:11.320] – Lauren Provost

Oui, forcément tu réconcilies, tu prends un peu plus de hauteur. Oui, c’est sûr. Après, nous, on a nos correspondants sur place dans tous les territoires où on est allés. On a des correspondants, donc eux, ils connaissent les problématiques de parler, de parler, de couvrir, d’être le nez dedans. C’est sûr que tu as cette force de médias nationaux, mais encore une fois, si on va dans les forums Libé, ils sont toujours allés dans d’autres territoires. C’est de dire qu’ on est un média national, mais on n’est pas un média parisien. ça, c’est hyper important.

 

[00:49:45.210] – Julien Le Bot

Dernière question sur l’édito à Libé : je me suis posé la question, peut être je me trompe, mais les pages lifestyle à l’époque de l’urgence climatique, ça veut dire quoi ? Qu’est ce qu’on met dedans ?

 

[00:49:58.360] – Lauren Provost

Le service mode de vie, il traite de nos habitudes de consommation. Il y a un vrai aspect consommation, vie quotidienne. Par exemple, qu’est ce qu’on met dedans ? Dans les sujets dont on parle beaucoup avec l’équipe, la fast fashion, par exemple. L’ouverture du pop up store Shein, je ne sais pas comment on prononce, excusez moi s’il y a des puristes, mais je le vois plutôt écrit Shein à Paris. C’était un sujet dont on avait parlé. On avait parlé des ravages que fait cette enseigne de fast fashion et on a refait un reportage à l’ouverture. Ça, ça peut être dans les pages « lifestyle », « mode de vie », « mode » et ça parle d’environnement. Vraiment, ça irrigue tout le journal. Même ces pages là où tu peux penser que c’est déconnant parce que tu avais a priori que c’était une dissonance.

 

[00:50:49.050] – Julien Le Bot

Oui, ça fait partie des questions qu’on peut se poser. Justement, puisque tu parles de dissonance, peut être qu’on peut ramener ça un petit peu sur l’articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Tu l’as abordé un petit peu. Si on parle un peu d’éco anxiété, tu parlais des audiences. Est ce que toi, par exemple, en tant que journaliste, en tant que jeune maman, est ce que tu penses être frappée par une forme de crainte de l’évolution de l’habitabilité.

 

[00:51:12.630] – Lauren Provost

De la Terre ? Oui, totalement. Je ne sais pas s’il y a d’autres gens dans la salle qui y sont concernés, mais oui, moi, ça m’angoisse énormément. Mais beaucoup de choses m’angoissent. Le journalisme, ça te met le nez face à plein de problèmes depuis longtemps.

 

[00:51:28.110] – Julien Le Bot

Est ce que tu as l’impression, en tant que directrice adjointe de la rédaction, que vous essayez de proposer des articles ou des contenus au sens large qui accompagnent ou qui aident à traduire ça par des actions, des stratégies d’adaptation qui aident à avancer ? Oui, je pense qu’on l’a peut être pas assez. C’est un vrai axe de travail. Tu as en parlé de se poser des questions sur les formats, mais clairement, il faut qu’on arrive à continuer de parler et de ne pas dégoûter les gens qui veulent juste fermer les… C’est facile de fermer les yeux. Il y a vraiment ce côté « on proposait des choses, mais après, je n’ai pas envie qu’on tombe sur les petits gestes. Il y a aussi un effet de bord à ça où on fait reposer la responsabilité individuelle. Et si je te fais des articles dans les pages mode de vie dont tu parlais sur comment réparer son jean, en fait, ça cache. C’est prendre ça par le petit bout de la lorgnette. Donc ça peut exister, mais il faut pas que ça soit que ça. Mais on se pose plein de questions tout le temps. Là, par exemple, tu parlais des Une qu’on a fait Camille Étienne, Masson Delmotte. On essaie de trouver aussi des incarnations, des héros de l’environnement, des héros du climat. Ce n’est pas évident. Ça prend moins que des politiques. Mais c’est du récit positif.

 

[00:52:50.900] – Julien Le Bot

C’est des gens qui sont dans l’action.

 

[00:52:53.430] – Lauren Provost

Oui, complètement. Ça, c’est une façon aussi de dire « Ils agissent, ils sont pas inertes, il se passe quelque chose. » La paléo climatologue qui quitte le GIEC, qui parle beaucoup plus librement, c’est passionnant. Et ça, on fait la une. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de médias qui font la une sur des femmes scientifiques et qui la mettent autant en avant. On peut se permettre de le faire, on le fait. On le fait et on espère que les gens nous suivront là dessus. Ça va se faire, mais c’est du travail et je pense qu’il faut aussi que les lecteurs… Je pense qu’à force, ça va marcher. Mais par exemple, Camille Étienne, quand on l’a publié, on s’attendait à ce que ça casse Internet. J’exagère un peu, mais pour nous, on met une figure moins populaire. L’interview est géniale et on voit que ça a pris, mais en longue traîne, pas tout de suite.

 

[00:53:48.150] – Julien Le Bot

C’est marrant que tu dis ça, ça me fait penser à une question qui nous a été envoyée par WhatsApp. Je te propose qu’on l’écoute tout de suite :

 

[00:53:57.580] – Noélie Coudurier

Bonjour Lauren Provost. Je suis Noémie Coudurier, journaliste indépendante sur l’environnement et le climat, notamment. On est tous et toutes d’accord pour dire que le challenge actuel, en fait, ce n’est pas tant d’avoir de l’information, mais plutôt de savoir quelle est la bonne information. Chez Libération, je sais que vous avez proposé tout un tas de choses ces dernières années. Je pense notamment à des entretiens pleine page que vous avez accordés à des climatologues et des militants, à une Une sur la disparition des insectes, à Une semaine verte que vous avez menée en 2019, au climat Libé tour qui a parcouru les villes de Bordeaux et de Lyon. Vous êtes même dotée d’une charte en interne et pourtant, ça pêche. On voit bien que les citoyens se détournent de l’actualité, qu’il y a une défiance qui s’installe vis à vis des médias et de la science. Donc, ma question serait la suivante : d’après vous, qu’est ce qu’il manque aujourd’hui aux médias pour que la recette prenne et que la mobilisation devienne massive, tant du côté des pouvoirs publics que des entreprises et des citoyens, sachant, entre parenthèses, que tous ne sont pas concernés au même niveau? Voilà, merci beaucoup.

 

[00:55:06.740] – Lauren Provost

C’est une super question parce que c’est celle qu’on se pose tous les jours.

 

[00:55:11.540] – Julien Le Bot

Et donc, même en mettant Camille Étienne à la une, ça ne suffit pas ?

 

[00:55:16.200] – Lauren Provost

J’adorerais avoir la réponse, mais je pense que comme les militants du climat, comme beaucoup de gens qui ont à cœur de populariser ce sujet, d’aller chercher les gens dessus, ça ne se fera pas en un jour. Moi, je prends le sujet sous tous les angles possibles. C’est effet d’affichage, martelage, créer des héros, des nouvelles formes de récits, arroser sur du physique avec des « on va rencontrer les gens chez eux », on balance avec de la vidéo, on va chercher des nouveaux formats. Je ne pense pas qu’il y ait une recette miracle. On parlait des titres, on parlait de la désirabilité, de côté un peu sexy et accrocheur qu’il faut qu’on aille chercher. Je pense qu’il faut tout activer, activer tous les leviers et il faut y aller. En une, on a cette force de pouvoir faire des « une » que aucun média ne peut faire. Là, je crois que ça fait un petit moment qu’on n’en a pas fait une un peu choc ou un peu qui pourra faire date sur l’environnement. Mais aujourd’hui, on a reçu le prix de la meilleure une de l’année pour un dessin de Coco sur l’IVG aux États Unis par le média Stratégie, super fière qu’on ait reçu ce prix.

 

[00:56:29.020] – Lauren Provost

L’an prochain, j’adorerais que ça soit une sur l’environnement. Et ça, même à l’heure des réseaux sociaux, même si c’est du journal papier, ça tourne énormément. Tu as un effet d’affichage qui est énorme. Enfin voilà, moi, j’adore cette question, mais c’est vraiment celle qu’on se pose et j’ai pas la recette. Je crois que ce podcast, il y a plein de journalistes qui ont défilé et qui n’ont pas la recette. On y travaille tous et toutes. C’est important et on fait tout. On va tout faire pour que ça prenne, mais on est en train de créer le truc. Mais depuis les années 80, c’est ça qui est incroyable. Mais là, on a remis des forces pour et tu vois que ça marche. Tout à l’heure, je te disais qu’on produisait plus de contenu, qu’on essaie de sortir des infos, qu’on titrait différemment. En trois mois, on a doublé l’audience qu’on a sur la thématique environnement. Et sur les abonnés, les gens qui viennent par cette thématique là, on a plus que doublé également. Donc, j’ai l’impression que les efforts récents paient vraiment. Donc ça, c’est encourageant.

 

[00:57:33.630] – Lauren Provost

En tout cas il y a un intérêt du public. Forcément. Mais après, le truc, c’est que les gens viennent plus lire quand la France crame ou quand il fait… La semaine dernière, je faisais l’édito sur la une qu’on a fait sur la sècheresse, sur la carte de la sécheresse, mais il faisait moche sur toute la France. Il pleuvait partout. Donc en fait, on voit vraiment… Nous, on a des stats en temps réel, on peut le voir, mais les gens, c’est super dur de leur parler de réchauffement climatique, de sécheresse quand ils flottent, c’est normal.

 

[00:58:06.800] – Julien Le Bot

Et tout le problème de la différence entre la météo et le climat.

 

[00:58:11.370] – Lauren Provost

Mais oui, c’est ça. Et donc nous, on s’est dit « OK, mais même s’ils flottent partout, on fait une une là dessus ». Et le début de mon édito, c’est ça, c’est « Vous allez nous prendre pour des tarés. On vous parle de ça, de sécheresse, alors qu’en fait vous êtes les pieds dans l’eau ». Et on a la géographe Magali Regezza qui chronique pour nous toutes les semaines et qui faisait sa chronique là dessus, justement. Et voilà, il ne faut pas relâcher même, tu as raison, météo climat, l’absurdité de la confusion qui existe encore. Mais voilà, il faut y aller, même quand ça ne s’impose pas par une grosse actualité, comme ça a été le cas pendant l’été 2022. Et en même temps, on se rappellera sans doute de cet été 2022 où tous les médias ont été percutés par la violence du changement climatique. Peut être comme à un moment qui nous a fait basculer et accélérer les mutations. Et tu vois ce service, cette cellule, cet environnement, je pense que si elle est là, oui, l’été 2022, on s’est retrouvé à devoir chroniquer tellement de catastrophes. Ça aura permis peut être l’accélération sur cette cellule.

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