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Septième invité de notre podcast, la journaliste Cécile Mégie. Directrice de RFI (Radio France Internationale) depuis 2012, elle revient dans cet épisode sur la transition climatique et écologique de cette radio de service public international. Comment un tel média, très écouté notamment en Afrique, aborde-t-il à la fois les enjeux d’adaptation, mais aussi ceux de justice climatique ?

Cécile mégie qui répond aux questions julien le bot

RFI n’a pas attendu la signature de la charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique pour s’interroger sur sa couverture des enjeux climatiques.

Au micro de Julien Le Bot, la journaliste Cécile Mégie revient d’abord sur l’évolution de la trajectoire de RFI au fil des différentes conférences de négociations internationales sur le climat et de la montée progressive de la demande d’informations sur ces sujets.

Elle évoque aussi l’importance de la formation des équipes de RFI, qu’il s’agisse à la fois des journalistes, mais aussi de l’encadrement éditorial, pour faire en sorte que l’enjeu climatique irrigue progressivement l’antenne et les environnements numériques.

Au-delà, on y parle de l’organisation de la rédaction, de l’évolution des formats, de l’importance du reportage ou encore des difficultés à cantonner la couverture de ces enjeux à la

Dans cet épisode, enfin, vous retrouverez aussi une question envoyée par Ange Kasongo, une journaliste basée à Kinshasa, en RDC.

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Cet épisode a été enregistré en public le 17 mars 2023, à Créatis, et réalisé par Sylvain Pinot.

Transcription de l’entretien avec Cécile Mégie

JLB

Bonjour, c’est Julien Le Bot et aujourd’hui, je suis avec Cécile Mégie, directrice des rédactions de RFI, Radio France internationale, qui revendique 58 millions d’auditeurs chaque semaine et 33 millions de visites chaque mois sur ces environnements numériques. RFI qui, en dépit de ses chiffres, est une radio finalement assez méconnue sous nos latitudes, là où elle est au contraire très bien identifiée par des publics vivants, notamment en Afrique francophone.

Justement, face au réchauffement climatique, toutes les régions du monde ne sont pas logées à la même enseigne. Si au Nord, on commence tout juste à s’apercevoir que les canicules, les sécheresses, les incendies, mais aussi les tempêtes ou les inondations meurtrières peuvent sérieusement questionner nos modes de vie énergivores, les pays du Sud font déjà face à des conséquences très graves. Selon les experts du GIEC, l’Afrique est même le continent le plus vulnérable face aux effets du dérèglement climatique, avec d’ores et déjà une baisse significative des rendements agricoles, une migration de maladies comme le paludisme qui désormais apparaissent dans des zones qui ne connaissaient pas ces maladies autrefois, mais aussi l’érosion côtière qui frappe des pays d’Afrique de l’Ouest, du Sénégal jusqu’au Bénin.

JLB

Autrement dit, à l’échelle globale, le dérèglement climatique est en cours, mais à l’échelle locale, on ne le perçoit pas avec la même intensité. Comment, dans un tel contexte, un média international comme RFI peut il accompagner ses audiences dans la transition écologique ? Et comment aussi un média aussi écouté en Afrique aborde t il à la fois les enjeux d’adaptation, mais aussi ceux de justice climatique ?

JLB

C’est ce qu’on va essayer de comprendre dans cet épisode, aux côtés de Cécile Megie, qui est directrice des rédactions. Donc, quelle info pour les habitants d’une planète qui se réchauffe ?

JLB

Bref, pour ce septième numéro, je vous invite à accueillir chaleureusement Cécile Mégie. Bonjour Cécile.

CM

Bonjour Julien.

JLB

Peut être pour commencer, je pense qu’il est important de prendre la mesure de ce média international qui est RFI. RFI, d’abord, c’est combien de langues à part le français ?

CM

C’est le français et 15 langues. C’est assez simple comme description. RFI, c’est une radio mondiale française de service public. Ça a un sens, notamment quand on va discuter de ces questions, je pense. C’est une radio ancienne, patrimoniale, qui s’est transformée, mais qui a un auditoire, vous le disiez, extrêmement nombreux et fidèles dans l’hémisphère Sud et plus singulièrement en français et dans les langues africaines que sont par exemple le mandingue et le peul dans la zone d’Afrique francophone. On est également reçu en Afrique de l’Est quand on parle Swahili ou au Nigeria, au nord du Nigeria et au Cameroun quand on parle à haoussa, mais aussi en chinois, en espagnol, en brésilien, en portugais vers l’Afrique, en anglais à 100 % numérique comme en russe ou en persan. L’inventaire est très long.

JLB

Là, en cartographie, je dirais l’audience, la diffusion. Il y a aussi la production. C’est combien de journalistes et aussi combien de correspondants sur le terrain ?

CM

À Paris, à peu près 480 journalistes, toutes langues comprises, plus de 200, 250 journalistes juste pour l’antenne en français qui diffusent plus de 24 heures, parce qu’on a aussi des sessions d’information et des programmations spécifiques pour notre auditoire d’Afrique francophone. Et dans Le Monde, c’est un réseau toutes langues comprises d’environ 350 à 400 correspondants. Je ne vais pas vous faire la liste, mais en gros, il y en a partout des correspondants de RFI.

JLB

Avant de rentrer dans le vif du sujet, on va revenir sur le fait que c’est donc une radio au départ, première radio internationale, notamment en Afrique francophone, avec des chiffres qui montrent qu’elle se maintient en première place, en tout cas dans le top 5 au Burkina Faso, au Cameroun, au Congo Brazzaville, en Côte d’Ivoire, au Gabon, en RDC également et au Sénégal, des pays qui sont, comme je le disais tout à l’heure, fortement exposés aux effets du réchauffement climatique. Est ce que ça veut dire qu’à chaque conférence de rédaction, la question du dérèglement climatique est prioritaire chez RFI ?

CM

Ça veut dire en tout cas qu’elle se pose. Elle est prioritaire et elle est devenue de plus en plus au fil des ans. Depuis janvier 2022, on a décidé, pas seulement par l’opération du Saint Esprit, mais parce qu’on sentait que la demande était forte dans la rédaction, la demande était forte dans l’auditoire diverse, que ces sujets liés au dérèglement climatique, au réchauffement climatique, au changement climatique, selon les termes qu’on emploie, soient peut être beaucoup plus concrètement sur nos antennes. Et là, on s’est imposé des quotas, c’est à dire qu’on s’est dit à chaque conférence de rédaction, quotidiennement, on décidera qu’il y aura au moins, peu importe la forme, le format, que ce soit un invité, un module de reportage, dans les sessions d’info, un élément de journal. Au moins deux sujets qui ont trait à ces problématiques là, pour apporter un éclairage, pour apporter une illustration, pour apporter un décryptage plus long. Au moins deux. Et on s’est rendu compte que la machine fonctionnait. On avait dix propositions par conférence de rédaction. Chaque service, c’est important de le savoir. L’organisation des services de.

JLB

Rfi sont… On reviendra sur tous les services, mais ce que tu veux dire, c’est qu’il y a une poussée, une envie de la part des équipes.

CM

Il y a une envie des équipes. Ça coïncide avec une envie des directions. Ça tombe bien, ce n’est pas toujours le cas, mais là, en l’occurrence, on s’est rencontrés là dessus. Une envie de l’auditoire. On a des études qualitatives auprès de nos auditeurs. Tu as donné des chiffres d’audience, mais on a aussi des études qualitatives avec des questions qui nous importent, de savoir quels sont les sujets que notre auditoire a envie d’entendre ou d’aborder ou de voir. On a aussi de l’interactivité avec nos auditeurs et on voit bien que dans certaines émissions, ce sont ces questions là qui reviennent.

Cette question environnementale, cette question de vie quotidienne environnementale, revient très souvent comme une préoccupation dans les préoccupations principales, dans les trois préoccupations principales de l’auditoire avec l’emploi, l’éducation, le mode de vie. Tout ça coagulé, on s’est dit « Bon, voilà, on va se l’imposer, on va voir comment ça prend. » Ça a très bien pris et on a développé au fur et à mesure la déclinaison de toutes ces propositions sur nos antennes.

JLB

Justement, on va rentrer dans ce détail là, mais d’abord, parce qu’on a mis du temps collectivement, les journalistes aussi, à peut être le faire remonter en priorité numéro 1. Ce qu’on aime bien faire dans ce podcast, c’est faire un détour biographique pour essayer de comprendre aussi comment chacun a été accompagné dans sa vie et préoccupé par ces questions là. Je propose qu’on passe par l’histoire aussi de ton papa, de ton père, Gérard Mégie, qui, si je ne me trompe pas, était donc chercheur français spécialisé dans l’atmosphère et le climat. Il a été d’ailleurs président du CNRS de 2000 à 2004 et en 1989, il a publié un ouvrage intitulé « Ozone, l’équilibre rompu ». J’imagine que ça, avant même d’entamer tes études pour devenir journaliste, ça t’a marquée. Qu’est ce que tu as retenu de ça ?

CM

Oui, ça m’a marqué parce que 1989, j’avais 20 ans et avant qu’il écrive ce livre, le sujet traînait un peu partout, et c’était une conversation qu’on pouvait avoir, même si c’était absolument pas une conversation. C’était mon père, donc en gros, ce qu’il faisait, c’était forcément… À cette époque là, je me disais que c’était forcément bien. Ça m’intéressait un peu de loin, mais on sentait bien qu’il y avait quelque chose.

JLB

Qui montait. Même si en 89, on était encore dans un optimisme de la technologie.

CM

On était dans l’optimisme de la technologie. Si je réfléchis, parce que quand on s’est parlé un petit peu avant de se rencontrer vraiment aujourd’hui pour cette conversation, j’ai quand même réfléchi. En 89, oui, on était dans un optimisme, mais moi, ce que je voyais dans mon entourage familial et singulièrement avec mon père, c’est qu’ il y avait effectivement des combats ou des luttes ou des discussions un peu musclées entre spécialistes du climat ou spécialistes scientifiques. Je me souviens de celui qui le qualifiait… Il ne le qualifiait pas d’ennemi, mais c’était quand même sa bête noire, c’était Aroun Tazieff.

Aroun Tazieff, pour ceux qui étaient bornés en 89, vulcanologue, spécialiste des plaques tectoniques et des tremblements de terre qui prédisait que, de toute façon, il allait y avoir des tremblements de terre majeurs, des « big ones » un peu partout, notamment à Nice. Je me souviens de ces angoisses qui naissaient en France et Aroun Tazieff avait un accent très prononcé. C’était un homme de média. Les journalistes aimaient bien aller lui poser des questions et c’était toujours la fin du monde. Et mon père, qui était beaucoup plus jeune que lui, arrivait, lui, arrivait, lui… Ce n’était pas un homme de média, mais il était de plus en plus présent parce qu’on l’interrogeait sur ses questions.

CM

Son sujet, c’était la couche d’ozone. J’ai entendu parler de la couche d’ozone, du trou d’ozone dans l’hémisphère Sud, ce trou saisonnier, des cancers de la peau en Australie, parce qu’il n’y avait plus d’ozone et pourquoi l’ozone était détruit ? Parce qu’on avait des frigidaires avec du CFC et qu’il fallait les interdire. Et Aroun Tazieff et mon père, c’étaient deux personnes. On n’avait pas les chaînes d’info continues et les « fights » sur les plateaux, mais c’était deux personnes qu’on mettait l’un en face de l’autre et qui se disputaient. C’est à dire que mon père considérait que la vraie menace était la menace du changement climatique plus que la menace du Big One à Nice dans les dix années qui allaient suivre.

JLB

Parce que c’est ça. Il n’y a pas de consensus scientifique à l’époque. .

CM

Je pense que non. Moi, il y en avait un chez moi. On était tous d’accord avec lui, mais scientifiquement, je sais qu’il y a eu aussi… Ça, c’est dans les années qui ont suivi, mais Libération avait enquêté sur l’Académie des sciences et qu’à l’Académie des sciences, dont faisait partie mon père après, il y avait des discussions et il n’y avait pas de consensus, c’est vrai. C’était quelque chose qui… Je crois que le mot climato-sceptique n’existait pas, mais on sentait que tout le monde n’était pas convaincu. Moi, j’ai grandi avec ça, avec quelqu’un qui nous parle de climat. Donc déjà, ça aide à se dire « Oui, ce n’est peut être pas seulement le temps qu’il fait ».

CM

Après, en grandissant un peu, j’ai aussi échangé avec lui et comme il considérait que j’étais la journaliste de la famille, ce qui était vrai, il n’y en a pas d’autres, ça m’arrange, j’avais le droit de temps en temps de relire certaines choses parce qu’il me disait « Mais ça, j’écris trop long. » Bref. Et j’avais lu des papiers qui rendaient ou des publications, notamment sur ce lien qui aujourd’hui est très, très exploré et réel entre le scientifique et le politique, par exemple. c’était quelqu’un qui était très investi là dedans, qui disait « Nous, on a un rôle. On a un rôle de scientifique, de découvreur, d’objectiveur. On fait de l’étude, mais les décisions, ce n’est pas nous qui devons les prendre. C’est les politiques qui en était convaincu, c’est aux politiques de prendre des décisions. »

JLB

Justement, entre le politique, le scientifique et aussi le journaliste qui est là pour faire de la médiation, en 93, tu rentres à RFI. Est ce que l’environnement en 93 est une question éditoriale à RFI ?

CM

À ma mesure, non. Je crois que c’était un sujet… Militant ? Oui, c’était un sujet militant. C’était un sujet que moi, je découvrais en RFI en même temps que mon métier, en même temps que ma préoccupation était pas là. Moi, je me suis pas positionnée sur ce sujet là, ça c’est clair. Aussi parce que je me disais « C’est bon, je ne suis pas scientifique comme papa, je n’ai pas fait les mêmes études que papa, je ne vais quand même pas travailler sur les mêmes sujets que lui.

JLB

Ce qui est souvent le cas de la profession. Il y a peu de scientifiques chez les journalistes.

CM

Il y a peu de scientifiques chez les journalistes.

JLB

Ce qui est d’ailleurs sans doute un problème. Petit bond dans le temps, 2002, tu es désormais rédactrice en chef adjointe. Le GIEC, d’ailleurs, a été créé dix ans plus tôt. 2002, c’est Johannesburg, Afrique du Sud. C’est là où Jacques Chirac, qu’on a entendu au début de ce podcast, dit « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » Que se passe t il à la RFI ? Est ce que là, quelque chose s’accélère ?

CM

Oui, alors là, quelque chose s’accélère. Johannesburg, tout le monde le sait, au sud du continent africain, c’est un sommet majeur. Cette déclaration illustre, elle ouvre le podcast, mais c’est une déclaration qui est devenue quasiment un refrain et une marque de fabrique, que ce soit un président français qui la prononce, que ce soit sur le continent africain. Ça avait une vraie résonance et sans être moi même ni rubricarde, ni spécialisée, ni, ni, ni, mais en gestion de l’antenne, je sais que ce sommet là a été un sommet qui, évidemment, a donné lieu à une couverture beaucoup plus vaste que n’ont pu l’être les précédents ou les accords précédents sur l’antenne. Et on sent bien que les choses émergent parce que là, on est dans des sujets qui, en plus, s’illustrent auprès de notre auditoire africain. Donc je pense que là, il y a une préoccupation de notre auditoire, donc une préoccupation des rédactions qui se fait jour.

JLB

En même temps, on se fait une sorte de satisfecit en se disant que oui, on a quand même été présents. On a pensé qu’effectivement… Et en même temps, on n’était peut être pas complètement à la hauteur. D’ailleurs, la COP de 2009, Copenhague, plutôt un échec du point de vue des négociations. Du point de vue éditorial, je pense que c’est dur aussi en interne de défendre le fait de dire qu’il faut que ce soit des priorités à l’antenne.

CM

2009, il y a sur RFI, je saurais te dire si c’est avant ou après la COP, mais à mon sens, c’était avant la COP, la naissance d’une émission qui s’appelle « C’est pas du vent. »

JLB

Et qui est toujours à l’antenne, deux fois par semaine.

CM

Et à l’époque, c’était une émission quotidienne. Et je pense que là, ça a été un vrai marqueur sur RFI et une chaîne française, la première émission quotidienne sur l’environnement. Je ne crois pas me tromper. Et avec cet effet, avec une journaliste extrêmement investie sur le sujet, Anne Cécile Bras, qui est toujours à la tête de cette émission, cette émission donne une tonalité à l’antenne de RFI et de fait accélère aussi l’intérêt des autres journalistes pour la question.

CM

La COP de Copenhague, moi, je me souviens, je ne sais plus où j’étais, si j’étais rédactrice en chef au service ECO, bref, je sais que la COP de Copenhague a pris une grande place sur notre antenne, peu importe le résultat des négociations, mais on a compris ce que ça voulait dire qu’une COP. On l’a expliqué en tout cas. Après, il faut l’expliquer à chaque COP parce que je pense qu’on peut oublier. Les journalistes ont commencé vraiment à s’intéresser à ces sujets liés au climat, à l’environnement et au changement climatique. Là, je pense qu’on a vraiment commencé quotidiennement et dans les magazines, parce que l’antenne de RFI, ce sont des magazines et de l’info, mais que tout ça était moins étanche et qu’il y a une machine qui s’est mise en route.

JLB

Moi, c’est marrant, en parlant un peu avec des gens à RFI, on m’a plutôt dit que c’était la COP 21 que les choses avaient démarré. La COP 21, c’est autre chose. C’est la COP de Paris, forcément, avec un studio au Bourget sur place, une accessibilité du monde scientifique, peut être aussi une clarté nouvelle de la part du monde scientifique.

CM

La façon dont les COP s’organisent ont un peu changé. Oui, la COP 21, c’était un marqueur. La COP 21, moi, j’étais déjà directrice de RFI. Bien en amont de la COP 21, on avait ça comme un marqueur, marqué dans nos agendas et dans nos prévisions. Ça se tenait à Paris, on était en lien avec les organisateurs et on a souhaité non seulement donner un écho extrêmement important à cette négociation, sans en connaître l’issue, parce qu’on sentait qu’il y avait quelque chose d’important, que la question du changement climatique, de l’environnement, du Nord, toutes les thématiques que tu as pu évoquer tout à l’heure, de la redevabilité du Nord vis à vis du Sud, du concret au plus diplomatique, il y avait un intérêt pour RFI.

CM

On rappelait tout à l’heure que RFI, à l’époque, il n’y avait pas de la 15, mais il devait bien y avoir 12 langues. Ça aussi, c’était important que l’ensemble des langues puissent être concernées, nos rédactions de langues et nos auditoires dans les langues, puissent être concernés par cet événement majeur. Et puis ça se tenait à Paris.

JLB

Mais soyons clairs, est ce que ça veut dire qu’il y a une préparation particulière de la part des journalistes ? Parce qu’une COP, c’est hyper compliqué.

CM

C’est super compliqué.

CM

Et il y a eu une préparation. Des formations pour leur expliquer comment ça marche, les négociations, le rôle des ONG, etc.

CM

On a monté ça un peu entre nous, sans SAMSA à l’époque, je vous le dis, puisque effectivement aujourd’hui… C’est pas grave. Pourtant, même pas. On s’est débrouillé, on a organisé des conférences, on a fait venir les responsables des négociations, on a créé des modules spécifiques pédagogiques pour notre auditoire. On parlait de radio, mais tout ça, c’est aussi radio et numérique. On a eu des grands témoins, on a a fait… On a formé Laurence Tubiana, Jean Jouzel.

JLB

Valérie Masson Delmotte, François Gemenne…

CM

Toute la galaxie de ceux qui prenaient la parole et qui nous aidaient aussi parce que je pense qu’eux aussi avaient vraiment intégré l’intérêt d’avoir des journalistes formés au sujet, parce que poser toujours les mêmes questions et mélanger ce qui est météo et climat, ça n’avait pas de sens. Donc, ils ont participé à cette formation des journalistes et je pense que ça, c’était essentiel. Et pour la COP 21, on avait vraiment mis en place un processus de formation en amont, presque six mois à l’avance, pour que les journalistes des services spécialisés, des rédactions de langues, sur la base du volontariat, mais il y avait des volontaires à peu près partout, soient au niveau et puissent travailler ensemble. Tu parlais d’un studio qui était au Bourget, effectivement, avec une vraie salle de rédaction dans laquelle les journalistes, pendant l’intégralité de la session de négociation et jusqu’au bout, ont travaillé et ont échangé à ce moment là.

JLB

Même si tu décris des efforts de formation, de positionnement, etc, ça reste difficile, en tout cas suffisamment difficile pour qu’en 2022, France Média Monde, donc RFI, juge nécessaire de signer une charte que je connais très bien parce que je fais partie des co-rédacteurs de la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique. Pourquoi c’était important de signer cette charte, et qu’est ce qu’elle signifiait en interne ? Est ce qu’il y a eu derrière un plan, quelque chose de nouveau et une impulsion encore plus forte ?

CM

Oui, je pense. La charte est arrivée. Tout se coalise là encore, c’est à dire que la COP 21, il y a un gros effort. Ensuite, de mémoire, la COP de Marrakech, je ne crois pas me tromper. E nsuite, je ne saurais plus dire, en dix ans, on en a fait à peu près quatre. Glasgow, on était entre post Covid, pré Covid. Là, ce n’était pas si simple de couvrir cette COP, mais on l’a couverte. Et là, à chaque fois, sur l’antenne, on n’en restait pas à l’écume de la négociation. On allait illustrer, on allait… Là aussi, il y avait des efforts de préparation.

JLB

Oui, mais les questions climatiques, ce n’est pas que les COP. C’est à dire qu’est ce qui se passe en 2022 ?

CM

En 2022, je pense qu’il y a la présence d’Anne-Cécile Bras et je pense que là, je la salue parce qu’avoir une journaliste aussi investie sur cette matière, qui la connaît, qui en a aussi le carnet d’adresses. Ça compte énormément. C’est avec elle qu’on avait monté les formations avant la COP 21, qui est capable de transmettre ce savoir à ses confrères et à ses collègues. C’est essentiel. Elle joue l’alerte et c’est vrai que ça fait longtemps qu’elle nous dit : « Là, il faut vraiment qu’on monte en compétences. Il faut qu’on arrive à ce qu’il y ait un peu plus de monde qui s’y intéresse, à ce que nos antennes reflètent et pas seulement dans « C’est pas du vent » ».

CM

Ça n’était pas que « C’est pas du vent » quand même, il ne faut pas exagérer. Il y en avait dans les éditions et pas seulement au moment des COP.

CM

Oui, mais l’enjeu, c’est de faire en sorte que même Christophe Boisouvier, par exemple, se sente à l’aise avec des questions comme ça.

CM

… qui l’intervieweur identifié des grands invités africains soit à l’aise avec ça, mais de même que Frédéric Rivière, qui fait Les invités politiques ou tout autre journaliste qui présente une émission géopolitique ou même une émission de sport.

JLB

Donc septembre 2022, vous signez ça, est ce que ça veut dire que tout le monde… ?

CM

On signe ça. Janvier 2022, on se met notre petit quota, allez, au moins deux par jour et on le dépasse. En même temps, parce que quand même, en même temps, on organise au sein de la rédaction une sorte de réseau de journalistes en charge, voire spécialisés sur les questions climat. Donc là.

JLB

Tu parles des référents ?

CM

Je parle des référents.

JLB

La green team sur WhatsApp.

CM

La green team. Je déteste ce terme. Ils se sont auto baptisés green team. Ce n’est pas très correct.

JLB

Ce n’est pas très francophone.

CM

Quand on s’appelle RFI, ce n’est complètement pas francophone. Mais bon, appelons les « la green team ». Ces journalistes, avec Anne-Cécile Bras, avec d’autres, s’organisent en réseau, un groupe WhatsApp, des réunions régulières et en ligne de mire, les grands rendez-vous, mais aussi cette volonté de faire monter ces sujets sur l’antenne de façon plus régulière, plus juste peut être aussi pour éviter les biais, pour éviter de tomber dans les pièges. Ça veut dire qu’ eux sont très demandeurs bien évidemment de formation, de monter en compétences et que dans ce, j’allais dire, « trend », ce qui est encore un mot pas du tout francophone, mais dans cette mouvance là, on en arrive en septembre à nous voir soumis cette charte et ça nous semble totalement cohérent. À ça s’ajoute, parce que ça existe aussi, RFI, c’est une chaîne du groupe France Média Monde et le groupe France Média Monde, comme tous les groupes publics et singulièrement de l’audiovisuel public, rentre dans un cadre de redevabilité sur ce qu’on appelle la responsabilité sociale et environnementale, la RSE, où là arrivent des objectifs chiffrés.

CM

En dehors de la sobriété énergétique qui, en France, nous impose un chauffage collectif à 19, il y a aussi des économies d’énergie sur l’éclairage, des économies sur les déplacements, une réflexion post-Covid, mine de rien, aussi qui commence à s’infiltrer à tous les étages du groupe et de l’entreprise, au sens pas seulement entreprise éditoriale. Tout ça converge. Quand on nous soumet cette charte, on réfléchit, bien sûr. Est ce qu’on se fait imposer quelque chose de l’extérieur ? Il y a des débats. Tout le monde n’est pas au garde à vue en disant « Bien sûr, c’est ce qu’il faut. »

J’ai l’habitude d’être plutôt dans le collaboratif et la réflexion collective. On consulte bien évidemment les référents climat et environnement pour qu’ils nous disent ce qu’ils en pensent, parce qu’il y en a quelques uns qui sont co-rédacteurs, donc ça va plus vite. Mais on sent qu’il y a une adhésion aussi des équipes à ce texte. Donc voilà, on s’engage aussi sur les 9, 10, je ne sais pas combien de je ne sais plus exactement le 13. Les 13 points qui importent pour ce journalisme à hauteur de l’urgence écologique.

JLB

D’ailleurs, une question toute simple. Tu es une femme journaliste à la tête de RFI. Je crois que dans la green team, il y a beaucoup plus de femmes que d’hommes. Comment ça se fait ?

CM

Ça, je ne saurais pas te répondre. En termes de parité ?

JLB

L’écologie, ça reste un sujet de femmes ?

CM

Je n’en sais rien. C’est très étrange quand même. Pour aller dans ton sens, aujourd’hui, on a organisé une conférence. Oui, parce qu’au titre de la RSE, on a des actions pour toute l’entreprise. Il n’y a pas que les journalistes qui sont concernés parce que ça concerne aussi le quotidien des collaborateurs en général. Que ce soit de l’assistant technique, administratif, les responsables juridiques ou de la DRH, ils sont intéressés à ces sujets à titre personnel et parfois même à titre professionnel. On organise des conférences avec des spécialistes de ces questions là. Aujourd’hui, on avait Franck Courchamp, qui est écologue et directeur de recherche au CNRS. Je n’ai pas pu me connecter. C’était une conférence mixte, présentielle et visio. J’avais une de mes consoeurs qui y était et j’avais envie de savoir comment ça avait pris. Il y avait à peu près une centaine de personnes, ce qui n’est pas tout mélangé, ce qui n’est pas négligeable. Et il me dit « Il devait y avoir deux garçons. » Voilà. Bon, alors je ne sais pas. Est ce que c’est un sujet de femme ? Est ce que c’est… ? On est à parité dans les effectifs. Il y a autant d’hommes que de femmes dans nos rédactions.

JLB

Donc, ça veut sans doute dire qu’on n’est pas encore complètement à la hauteur de l’urgence.

CM

Je ne sais pas. Je ne sais pas si c’est les filles qui arrivent à mieux s’organiser que les garçons pour se libérer une heure dans la journée. Je ne sais pas. Je ne sais pas. C’est un mystère. Dans la green team, il y a quand même quelques hommes et ça, voilà. Mais voilà, il y a un sujet, sans doute.

JLB

On va y réfléchir à la fabrique des formats, à la façon dont on parle de ça. Question tout simple, vous avez maintenant un système de prévision aussi sur la question du climat et de l’écologie ?

CM

Oui. La partie émergée de l’iceberg, tant qu’il y en a, ce sont quand même effectivement cette mise en réseau des informations, ces échanges entre rédactions en français et en langue, parce qu’on ne regarde pas le climat de la même façon, enfin les questions climatiques de la même façon, quand on est une journaliste au service en chinois, en brésilien ou même en langue russe et en français. Donc tout ça, ce sont des échanges dans cette green team. Eux mêmes sont en mesure de proposer des prévisions à la rédaction en chef pour pouvoir ensuite élaborer des projets éditoriaux autour de grands événements ou de créer ad hoc des moments d’antenne parce qu’on a décidé

JLB

Parce qu’on peut faire l’événement.

CM

On peut faire l’événement et autour de ces questions là, on doit faire l’événement de temps en temps. Et puis, on a mis à l’antenne une… On a commencé par une chronique sur la biodiversité à rythme hebdomadaire en mars de l’année dernière, si ma mémoire est bonne. Et depuis octobre dernier, on a dans notre grille un journal de l’environnement qui s’appelle « Changer d’air » tous les vendredis matins, qui cherche encore sa forme de croisière, je trouve, mais qui est aussi le résultat de ce travail en réseau où chacun contribue et chacun… Après, il y a un choix éditorial qui est fait et on traite à la fois de rapport, mais pas seulement, de concret, mais pas partout et de solutions, mais pas toujours.

JLB

Avec des difficultés aussi, est ce que les journalistes ont le temps vraiment de s’en parler ? Je sais que c’est toujours une question qui se pose.

CM

Je sens que c’est très bien renseigné dans la rédaction.

JLB

Oui, mais ça fait partie du travail.

CM

Mais ça fait partie du travail. Donc l’écueil qu’il y a, évidemment, c’est qu’ on n’a pas arrêté de faire le reste pour faire ça et que ça, ça pose des questions, mais de choix éditoriaux. Et moi, c’est ce que je leur dis et je comprends parfois qu’il puisse y avoir des frustrations. Formation U en Armes et des frustrations, je le sais. Je vois bien que cette organisation en réseau, certains rêveraient d’en faire ce qu’ils appellent un service planète. D’accord, on fait un service planète, mais quel est le service ? Parce que je rappelle qu’on est quand même un média de services publics avec des deniers qui sont comptés et des ressources qui ne sont pas exponentielles. Donc, en gros, dans un ensemble fini, comment on fait pour arriver à repartager les ressources humaines ? Qu’est ce qu’on abandonne ?

CM

Qu’est ce qu’on arrête ? Qu’est ce qu’on arrête de faire ? Quel service lève le doigt pour dire « Moi, je vais arrêter de traiter de la politique française » ou « Moi, j’arrête de suivre la crise économique » ou « Moi, j’arrête la culture » ou « C’est pas très important, allez, on va faire de l’environnement » ? Non, on ne fait pas. On n’y arrive pas et c’est logique. Après, ce sont des choix éditoriaux qui, au quotidien, entraînent ce cercle qui doit être vertueux. Je pense qu’aujourd’hui, et moi, c’est le pari que j’ai fait en tant que directrice de RFI et avoir à gérer ce groupe et l’éditorial en même temps, parce que je suis directrice point final, je ne suis pas directrice des rédactions, donc je fais un peu le reste, ce n’est pas grave. Le choix que j’ai fait, la stratégie qu’on a souhaité mettre en place, c’est une stratégie de « Il faut que ça ruisselle, il faut que ça soit partagé. » Je pense vraiment que si on se dit « OK, on va fonder un pôle, appelons le « Planète » parce que ce sera large ou même environnement parce que c’est une échelle plus petite, ils seront investis du sujet, j’en suis certaine.

CM

Ils essayeront de trouver tous les débouchés d’antennes, j’en suis persuadée. Et tous les autres, ils s’en foutront complètement.

JLB

Oui, on risque d’avoir un problème, c’est que ça n’irriguera pas.

CM

Ça n’irriguera pas dans la rédaction. Et sans vouloir le viser, Christophe Boisbouvier ou tout autre intervenant de l’antenne ne se sentira pas concerné par le sujet parce que « Attends, on va demander au Pôle environnement. » Non, il faut que tout le monde soit concerné par ce sujet là. Je pense que c’est une phase et ce n’est pas confortable, sans doute. C’est vrai qu’on leur demande beaucoup. C’est vrai que le groupe WhatsApp a un intérêt parce que c’est vraiment du partage, mais je vois aussi la limite parce que c’est quelque chose où tombe en permanence de l’information. On est noyé sous l’information qu’il y a très à ces sujets là aujourd’hui et ils le sont eux. Moi, ce que je leur dis juste, c’est que je ne leur demande pas… Ils n’ont aucun devoir d’exhaustivité. On ne pourra pas tout traiter. On ne pourra pas tout sauver.

JLB

Comment on fait pour hiérarchiser ? C’est ça qui est difficile. Est ce qu’il y a un groupe pilote ? Est ce qu’il y a un travail engagé sur cette réflexion ? Peut être même sur des abandons à termes ou des transformations ?

CM

Je pense qu’il faut et c’est assez amusant parce que ceux qui participent… Et je parle assez régulièrement avec eux, mais les quelques journalistes de la Green Team, j’ai eu une discussion très informelle avec eux et avec elles, sur l’organisation au départ et la mise en route de ce journal de l’environnement. Et elles me disent « Oui, mais on a du mal à faire le choix pour le journal. Tu comprends ? Il nous faudrait un chef. » Et alors là, j’avoue que j’ai bien ri. C’était informel et c’était amical, mais c’est bien.

La hiérarchie éditoriale, ça a quand même du bon. Et donc voilà, on a les rédacteurs en chef qu’il faut, qui eux ont été formés aussi. Et là, c’est Samsa.fr. Parce que ça aussi, moi, ce que je souhaite, c’est que ça ne sert à rien d’avoir des spécialistes de l’environnement qui ont les bons carnets d’adresses, qui ont les bons repères et qui nous disent tels et tels sujets sont essentiels, si ça tombe dans l’oreille d’un rédacteur en chef qui s’en fout. Donc, on a formé nos spécialistes, nos référents et ensuite, il y a eu des modules de formation spécifiques pour l’encadrement éditorial, de façon à ce que tout le monde puisse se parler à peu près à niveau égal et que ça puisse faire allumer les petites lumières là où il faut, quand on a besoin d’aller jusqu’à l’antenne.

JLB

En tout cas, moi, ce qui me frappe, y compris au niveau de l’encadrement, c’est quand j’entends des phrases comme « C’est dingue, j’avais pas compris l’ampleur du problème. » C’est à dire qu’on voit quand même à quel point il est extrêmement difficile de changer tous les repères qu’on peut avoir, toutes les perspectives qu’on peut avoir sur les notions de développement, d’économie.

CM

Je sais pas d’où elle est tirée cette phrase, mais oui, je pense que de toute façon, là, on est vraiment… Et c’est là.

JLB

Où ça peut pas rester une green team. Il faut absolument que ça irrigue.

CM

Ça ne peut pas être une green team. Ça ne peut pas rester une green team, ça ne peut pas être un service et ça, vraiment, j’y crois. Il faut que ça irrigue. Il faut que les responsables de l’antenne soient convaincus à travers tous les outils qu’on a pu avoir de signature de charte, de conférences, de formation personnelle, d’engagement. On ne leur demande pas tous d’avoir des comportements vertueux en la matière, mais il faut qu’ils comprennent qu’éditorialement, ces enjeux là, c’est essentiel pour une chaîne comme Radio France internationale. Moi, c’est moi, c’est ça que je fais passer à l’encadrement éditorial.

CM

Et à ceux qui sont peut être plus sachants encore et ceux qui sont dépositaires de ces sujets là dans la rédaction, là, il faut peut être faire un peu de « calinothérapie » pour faire comprendre que… Parce qu’on sent qu’il y a une sorte d’épuisement qui est en train d’arriver. Est ce que c’est lié à la matière ou est ce que c’est lié à l’engagement qu’ils ont ? Attention.

JLB

C’est peut être lié aussi au fait qu’il y a une urgence et que les maisons mettent du temps à bouger.

CM

En tout cas, c’est pas une urgence. Nos grilles se sont adaptées, elles vont continuer. Les grands rendez vous sont couverts, nos auditoires… Et on a des témoignages d’auditeurs qui nous disent « On sent qu’on l’entend plus à l’antenne. » Nos correspondants, ça c’est très important. Nos correspondants sur le terrain savent quel est l’enjeu aujourd’hui pour nous éditorialement. Je ne parle pas de l’enjeu climatique, juste pour nous éditorialement, de faire monter ces sujets sur l’antenne, comme on dit, donc à eux de nous faire des propositions.

CM

Et là dessus, ils sont de plus en plus forts de propositions. Et tout ça, ça crée un mélange qui me semble être vertueux pour les nécessités de l’antenne et pour la cause, en quelque sorte, qu’on est en train de faire émerger aux yeux, aux oreilles de notre auditoire.

JLB

La question climatique, quand on est un jeune pêcheur qui vit à Saint Louis de Sainteégale ou à Nouakchott en Mauritanie, on ne le perçoit pas du tout de la même manière qu’un jeune français ou un jeune allemand qui est en train de faire son Erasmus. Comment on fait chez RFI pour adapter cette couverture en fonction des audiences et en fonction, du coup, de cette perception de l’urgence ?

CM

Je pense que ce qui est l’un des ressorts de notre couverture, c’est le reportage. Donc c’est d’aller voir, et justement à Saint Louis du Sénégal, au Comores, au Fidji, on l’a illustré, mais aussi sur les glaciers des Alpes. Voilà, d’aller illustrer et raconter notre boulot. C’est la mise en contexte, c’est la perception des ordres de grandeur, des réalités, des perspectives. Évidemment, le dernier rapport du GIEC est traité, retraité, surtraité. Mais je pense que le plus opérant et le plus marquant, c’est l’illustration. Et c’est la façon dont, à travers le monde, grâce à notre réseau de correspondants, grâce à des missions spécifiques, grâce à l’émission d’Anne-Cécile Bras qui donne une très grande place au reportage, on peut illustrer et quand même convaincre, parce qu’il y en a dans notre auditoire qui considèrent que tout ça, c’est bullshit et que le scepticisme existe. Donc les convaincre qu’ il se passe vraiment quelque chose.

À Madagascar, je ne ferai pas la liste exhaustive de tout ce qui est… Et on en, malheureusement, heureusement, on ne peut pas aller partout et tout montrer. Il y a des initiatives dans le groupe avec un garçon qui s’appelle Max Ball, par exemple, et qui a monté une initiative qui s’appelle E POP.

CM

Ce sont les témoins du climat, les témoins des changements climatiques. Ce sont ce qu’on appelait quand on n’était pas encore assez vieux, les journalistes citoyens. Ils sont formés à la captation en vidéo mobile et ils nous racontent à Madagascar comment aujourd’hui, on a dit, il y a dix ans, il y avait de l’eau, là, il n’y en a plus. C’est de l’illustration concrète à hauteur d’homme et tout ça, c’est raconté sur l’antenne, ça vient sur les antennes, c’est dans les émissions et je pense qu’on ne sera jamais aussi aussi percutants qu’en montrant.

JLB

Est ce que ça arrive sur Internet ? Par exemple, le hashtag environnement a fait son apparition il n’y a pas si longtemps que ça.

CM

À peu près en même temps que la green team, les formations, ce mouvement de 2022.

JLB

En tout cas, dans la question de l’évolution des publics, il y a aussi celle de l’évolution des usages des publics. Et le numérique est très important, évidemment, aujourd’hui, notamment parce que les antennes de RFI, elles sont très écoutées, mais parfois par un public qui est parfois vieillissant, en tout cas dans certaines villes. Justement, on a reçu une question. Je te propose de l’écouter tout de suite.

AK

Bonjour, moi, c’est Ange Kasongo. Je suis journaliste à Kinshasa. Ma question est basée notamment sur les résultats à l’issue de la COP 27. L’un des progrès importants à l’issue de cette rencontre était notamment le fait d’avoir reconnu officiellement et pour la première fois que les enfants et les jeunes sont des agents du changement sur les questions climatiques. Dans une Afrique aujourd’hui dynamique où la jeunesse est consciente de son rôle sur les questions de changement climatique, comment une radio comme RFI, qui est par ailleurs très écoutée sur le continent, peut accompagner l’engagement climatique de ces jeunes et en termes de contenu, en termes de proposition éditoriale et surtout en termes de format numérique.Merci.

JLB

Cécile ?

CM

C’est une journaliste connue de nos services. Mais c’est bien que ce soit quelqu’un qui soit à Kinshasa, qui pose cette question, parce qu’effectivement, Kinshasa, premier pays francophone d’Afrique, forcément, on sent cet intérêt, je le disais tout à l’heure, on sent cet intérêt de la jeunesse africaine comme ailleurs dans le monde, mais peut être avec une autre urgence, comme tu le disais, à ce que ces sujets apparaissent sur des antennes d’une radio, même ancienne, qui est RFI, parce que la radio ancienne RFI, elle se transforme.

CM

Aujourd’hui, j’évoquais E-POP tout à l’heure, ça, c’est vraiment la jeunesse. C’est la jeunesse des pays du Sud et notamment africaines qui témoignent, qui racontent et qui a place sur nos antennes. En mettant en place ce mouvement, nos interlocuteurs les plus concernés, les plus actifs dans les pays africains, ce sont les jeunes. Donc, ils s’entendent aussi. Il y a l’effet miroir, ils s’entendent aussi sur l’antenne. Quand je dis l’antenne, ce n’est pas restrictif au broadcast. L’antenne, c’est aussi des formats numériques. Tous les environnements. Tous les environnements numériques. Je n’ai pas créé une rubrique numérique pour… Nous n’avons pas créé une rubrique numérique pour parler d’environnement, mais la déclinaison de l’ensemble de ce que nous avons sur l’antenne, on la retrouve sur le numérique.

CM

Aujourd’hui, on a un projet qui existe et qui est un projet européen, qui est un qui s’appelle ENTR, qui est un projet de contenu numérique vidéo en partenariat avec la Deutsche Welle sur des financements européens. Et ce sont des jeunes Européens qui parlent aux jeunes Européens. Ces questions climatiques, elles sont extrêmement présentes dans ces contenus là. L’un des projets qu’on a dans un moyen terme, c’est un ENTR africain. Et je pense que le sujet climat sera évidemment extrêmement présent entre jeunes Africains, parce que le sujet, ce n’est pas Paris qui va faire ça. C’est entre eux, comment on se parle de ces questions là ? Comment éventuellement on propose des solutions à hauteur d’homme ? Au delà et en de ça et en même temps que des décisions politiques qui pourraient être prises ? Donc ça, ça rentre dans notre perspective éditoriale au quotidien.

JLB

Il y a des choses très intéressantes autour des notions de développement, c’est à dire que pendant des années, on avait l’impression qu’il fallait parler des bonnes pratiques, alimentation, énergie, éducation, etc. Est-ce que finalement, on n’est pas dans une transformation aussi de la relation nécessaire, dans la capacité à aller voir aussi sur place parfois dans certains pays du Sud, comment un certain nombre de savoir faire, de savoir être, de savoir cultiver, que sais je, peuvent être extrêmement utiles aujourd’hui pour faire face collectivement à l’urgence climatique.

JLB

Oui, avec une toute petite peut-être limite, c’est que tout n’est pas adaptable partout et que je pense que ce qui est important aujourd’hui, c’est le partage du constat. Ça, ça me semble essentiel. C’est la base. On parle tous de la même chose et on est tous d’accord. Les solutions, on n’est pas tous d’accord, pas partout. C’est là où il y a de l’éditorial et de la politique.

CM

C’est là où il y a de l’éditorial et de la politique. Et puis c’est là où il y a des capacités à adapter une solution ou plutôt qu’une autre. C’est là aussi où il y a de la com. C’est là aussi où il y a de la manipulation.

JLB

Justement, comment on fait pour faire attention au greenwashing, à l’éco blanchiment, aux paroles politiques, parfois aussi sans lendemain, qui est de dire « J’ai compris, c’est bon, on a signé tel engagement. » Est ce qu’il y a une vigilance particulière là dessus aujourd’hui ?

CM

Je pense que la formation est la clé pour faire face à ça et que être capable… J’ai une espèce de formule qui vaut ce qu’elle vaut, mais de toute façon, quand on est journaliste, il faut en savoir plus pour en dire l’essentiel. De la formation naît la capacité pour un intervieweur à rétorquer que le fact checking en direct n’est pas toujours très simple, mais au moins sur les ordres de grandeur, sur les comparatifs. C’est une question culturelle, d’acculturation qui importe aujourd’hui. Ça, je pense que c’est déjà un outil essentiel. Et puis décrypter, aller chercher une phrase et une affirmation péremptoire en disant que ça pourra être fait et démontrer qu’on n’en a pas du tout pris le chemin ou que les effets néfastes sont… J’ai un exemple en tête que m’avait citée Anne-Cécile Bras et je trouve que c’est une illustration intéressante, c’est-à-dire que quand on découvre au large d’un pays d’Afrique que je ne citerai pas un gisement pétrolier, la parole officielle du dit pays est de dire qu’ils se réjouissent de cette manne pétrolière. Moi, j’ai souvenir de cette manne ou en tout cas de cette découverte. Moi, j’ai souvenir, dans un passé pas si lointain, que le Tchad devenait un pays pétrolier et que, je me souviens très bien sur les antennes, ça allait abonder à fond pour la jeunesse.

CM

C’était une voie de développement majeure pour ce pays là. On ne faisait pas de contresens. On avait à notre disposition une vision des choses qui était celle là. Aujourd’hui, je pense que la responsabilité d’un média comme le nôtre, mais comme d’autres, de tous, c’est de dire « OK, on a découvert du pétrole. Et donc maintenant, vous faites quoi ? Vous prenez la même voie que tous ceux qui ont creusé, même si c’est offshore, qui ont utilisé le pétrole comme une ressource ou est ce que vous réfléchissez à « Est ce qu’on envoie aussi les inconvénients et est ce que vous partez sur d’autres pistes de développement ? Notre boulot est de les aiguiller. Après, ce n’est pas à nous de donner les solutions.

JLB

Non, mais quand on sait que chaque fraction de degré supplémentaire en plus est une mauvaise nouvelle pour tout le monde, ça pose des questions de justice climatique. Ça pose des questions parce que la richesse d’une partie des pays du Nord est en partie fondée sur l’extraction d’énergies fossiles, leur exploitation.

CM

La dépendance à d’autres pays. Et qui est d’ailleurs.

JLB

Aussi une dépendance vis à vis de la Russie dans un contexte de guerre en Ukraine. Comment fait on, justement, aujourd’hui, pour transformer le logiciel éditorial sur la couverture, sur toutes ces questions là, il faut changer complètement les repères. Les interviews politiques du matin ne peuvent plus être écrites de la même manière, d’un certain point de vue.

CM

Sur ces questions là les interviews politiques, elles doivent être plus, plus, plus. Et encore une fois, j’en reviens à des choses très basiques, mais c’est de la formation. C’est à dire que vous, on a presque le même âge, t’es un peu plus jeune que moi, mais à l’école, c’était des sujets qu’on n’ abordait pas. Et à l’école de journalisme, ça faisait pas partie. Quand on fait une école de journalisme, ça faisait pas du tout partie des sujets qu’on nous aidait à traiter. Aujourd’hui, il faudrait quand même vérifier qu’ils sont tous… Je pense que tous les étudiants sont demandeurs, mais qu’ils sont tous au point sur ces sujets là. Et quand on est avec des équipes qui ont vieilli et qui n’ont pas été formées initialement, on fait de la formation continue. Moi, je ne vois pas d’autre biais. On les incite à s’informer. C’est un devoir de journaliste de prendre conscience de ce qui se passe autour de nous. Je pense que ça, ça fait partie quand même de la façon dont on vit aussi ce métier. Mais à la disposition des responsables des rédactions, il y a des choix à faire, il y a des organisations à trouver et à la disposition de chaque cerveau de journaliste, il y a de la formation à suivre.

JLB

Là, on parle un peu de la catastrophe, des enjeux très forts. Évidemment, on ne peut pas se contenter de faire ça. Et en plus, on s’énerve. J’aimerais qu’on parle justement un peu d’écoanxiété. Penses tu, pour ta part, être frappée par cette question de l’anxiété vis à vis des questions d’habitabilité de la Terre dans l’avenir ?

CM

Est ce que c’est un mot à la mode ? Est ce que c’est une réalité conjuguée à d’autres ? Je pense qu’il faut se méfier de toute généralité. Ce n’est pas parce qu’on tombe malade qu’on est écoanxieux. Mais on sent bien qu’il y a un phénomène qui émerge. Je ne sais pas si je le baptiserai comme ça, mais l’investissement… Je parle à hauteur vraiment de dialogue avec des confrères et des con sœurs et même pas en tant que directrice. Les journalistes qui choisissent, qui s’investissent sur ces sujets là, ils ont un engagement qui dépasse l’intérêt éditorial. On le sent. Il faut qu’on fasse attention aussi. Militants, pas militants. C’est un vaste… On pourrait refaire 15 podcasts sur le sujet. Et de fait, cet intérêt pour une cause, parce que c’est une cause aujourd’hui, fait que j’ai parfois la sensation qu’ils se… On le disait tout à l’heure, qu’ils se sentent responsables. Non, ils ne sont pas responsables. Ils sont dans leur métier de journalistes, de passeurs, de pédagogues, d’aiguillons, d’illustrateurs, mais ils ne sont pas responsables. Je pense qu’il faut qu’on fasse attention à ce que notre pratique journalistique ne soit pas un facteur d’écoanxiété. Maintenant, que la jeunesse aujourd’hui vive cette situation-là, comme moi je l’entends chez moi, vous n’avez rien foutu, c’est un peu de votre faute. Donc maintenant, comment on fait, nous ? Je les ai, ces discussions-là avec des jeunes adultes, qui nous le renvoient. Ce n’est pas très agréable, mais oui, on n’a rien fait. Est ce qu’on était en mesure de faire quelque chose ? Excusez moi, je suis juste ta mère ou ta belle mère, donc va manifester dans la rue. Je pense que cette éco anxiété, oui, elle se diffuse et je pense qu’ en revanche, il y a une responsabilité des journalistes, des rédactions et des médias, on va dire. Ce n’est pas de l’accentuer. C’est de faire le constat et de dire « Maintenant, qu’est ce qu’on fait ? »

JLB

C’est pour ça qu’on ne peut pas rester sur la question de la catastrophe. Il faut construire.

CM

On ne peut pas rester sur la question de la catastrophe parce que là, pour le coup, on désespère. Je suis désolée, mais ce que nos auditeurs nous disent aussi, c’est qu’ils sont intéressés par ces sujets là, mais que les nouvelles nouvelles en permanence, ils n’ont plus envie de l’entendre et que la consommation des médias, elle chute aussi à l’aune de ça. Je pense qu’on a un enjeu de niveau de responsabilité. Ok, il se passe quelque chose. On espère que ce n’est pas trop tard. Et quand on regarde le dernier rapport du GIEC, il n’y a pas d’optimisme, mais il y a une sorte de…

JLB

Non, mais il y a quand même des leviers qui sont présentés. Les connaissances sont disponibles dans l’espace public.

CM

On peut agir. Et si on agit maintenant…

JLB

La traduction politique pour une interview du matin, ça peut être de mettre des responsables politiques et de leur dire « Regardez, les leviers existent, il faut prendre des décisions.

CM

« Et quand vous en parez vous de ces leviers là ? »

JLB

Est ce qu’il y a des médias nationaux ou internationaux qui, justement, à tes yeux, semblent aujourd’hui proposer des choses intéressantes sur cette question de l’accompagnement de nos sociétés et des auditeurs ou en tout cas des audiences vers la transition climatique ?

CM

Là, tu me demandes de faire du benchmark en mauvais français ?

JLB

Non, je te demande en tant que citoyenne, est ce que tu as un média que tu trouves vraiment malin là dessus ?

CM

C’est difficile de te donner une réponse vraiment étayée parce que je pense qu’on est tous… On regarde ce que font les uns et les autres et ça, c’est super important parce que les bonnes idées, elles sont… Moi, je ne voudrais pas dire de bêtises, mais si je pense que je vais dire une bêtise. Je n’ai plus en tête le nom du média. À contrario.

JLB

Si tu n’as pas une référence.

CM

Non, mais c’était de l’illustration. Encore une fois, j’en reviens à ça. C’est peut être un peu basique, mais c’était aussi… Parce qu’il faut cette prise de conscience et surtout de ce que j’ai dit là, je ne le nie pas. C’était de l’illustration, c’était de la photo et du diaporama. Et je pense que ça, il n’y a pas besoin d’écrire des textes de 7 000 signes complexes et difficiles. Chacun, partout, sous toutes les latitudes et dans toutes les langues, peut voir du avant après. Je pense qu’il faut vraiment objectiver ça et puis après, rentrer dans ce qu’on espère être des leviers de solution individuels, collectifs, politiques, économiques.

JLB

On arrive sur la fin de cette conversation. Ce qui m’intrigue, c’est de savoir si, à ton avis, il existe encore en France des journalistes climato-sceptiques en 2023 ?

CM

Pas dans ma rédac.

JLB

En tout cas, une. Petite question maintenant pour regarder devant nous. Le 15 mai prochain, tu vas évoluer dans de nouvelles fonctions au sein du groupe France Média Monde, après plus de dix ans à la direction. C’est Jean Marc Four qui va prendre la tête de RFI, un ancien journaliste de Radio France qui a lui aussi fait toute sa carrière à l’international. Sur la question de la transition écologique de RFI, du point de vue éditorial, quel est à ton avis le plus gros défi à l’heure actuelle ?

CM

Cette transformation. Cette transformation et de continuer à accompagner les équipes. On sent qu’il y a un besoin d’accompagnement, de continuer à donner accès aux plus large, au plus de monde possible dans la rédaction, directement concerné par le sujet « rubricard » comme on dit dans notre jargon, ou présentateur de la matinale ou de toute heure du soir ou de la nuit ou de la journée, accès à ce savoir là dans sa pratique professionnelle. Ça me semble être ça qui est essentiel. Et de là découle la création de formats nouveaux, la dispersion sur le numérique et la couverture à l’aune de ce qu’elle doit être sur une antenne comme une antenne, des antennes et des canaux comme RFI de cet enjeu majeur.

JLB

Un dernier petit questionnaire avant de passer la parole au public. Et si tu avais 20 ans en 2023, quel métier choisirais-tu ? Est ce que ce serait journaliste ?

CM

Depuis 30 ans, je n’ai pas eu le temps de réfléchir à autre chose. Oui, je crois. Oui, vraiment. Vraiment. Après, ça a changé beaucoup, mais c’est un autre podcast.

JLB

Si tu devais citer un film, une série ou un livre qui t’a le plus marqué sur la question écologique ?

CM

Tout ça pas préparé, sans avoir réfléchi. Qu’est ce qui marque sur la question écologique ? C’est compliqué.

JLB

Je pose la question parce que la question des imaginaires est hyper importante, justement pour dépasser la catastrophe.

CM

Là, j’ai l’impression que oui. Je n’ai pas l’impression, je ne me sens pas je n’ai pas en tête ni titre ni exemple de ce qui permet de dépasser la catastrophe.

CM

Et si tu devais citer, pour finir, une personnalité qui t’a le plus marqué sur cette question là ?

CM

Non, je ne botte en touche.

CM

Alors, on va ouvrir la parole au public s’il y a des questions. Je ne sais pas, quelqu’un veut prendre le micro, poser une question ?

PhC

Philippe Couve, je suis le fondateur de Samsa et je voulais remercier Cécile d’avoir parlé franchement de ces questions. Moi, j’ai une question plus boutique encore. Est ce que la manière dont on travaille comme journaliste est finalement apte à couvrir ces enjeux ? C’est ce que questionne Wolfgang Blau, qui est à la tête d’un cercle au sein de l’Institut Reuters sur la couverture des questions climat. Il dit que les journalistes ont l’habitude de couvrir ce qui s’est passé. Et là, il faut s’interroger pour couvrir ce qui va se passer, qu’on n’est pas bien équipé pour ça. Il dit qu’on a l’habitude de personnaliser les sujets et que là, ce sont des sujets qui, pour beaucoup, ne sont pas personnalisés. Un glacier, ce n’est pas personnalisé, une nappe phréatique, ce n’est pas personnalisé, un trait de côte, ce n’est pas personnalisé, etc. Il pose ce genre de questions et il dit que parce que ces sujets sont différents, ils ne sont pas non plus événementiels. Parfois, oui, parce qu’il y a des grands incendies, etc. Mais souvent, ce sont des glissements très progressifs. Toutes ces caractéristiques font que ça ne rentre pas dans notre mécanique d’évaluation de ce qu’est l’actualité.

PhC

Est ce qu’à ton avis, il y a aussi quelque chose à revoir dans ce mode de fonctionnement des rédactions et du journalisme en général ?

CM

Oui, je pense qu’on… De façon peut être un peu décousue dans cette conversation, mais on a touché certains de ces sujets. Je n’ai pas utilisé le mot, mais je pense que contrairement à l’événementiel, ces sujets là, c’est du temps constant et du temps long. On y est, on le raconte, on continue à le raconter, on va ailleurs, on le raconte. On continue à le raconter. On continue. Donc oui, ça donne à repenser ce qu’est… Comment on définit l’info qui est une rupture du quotidien. Et le train qui n’arrive pas à l’heure. Là, les trains sont tous en retard, donc il faut traiter le sujet en permanence. Je pense qu’en dehors des événementiels, parce que l’événementiel en général, c’est l’institutionnel qui le crée ou la catastrophe. Q uand on traite de la catastrophe, je pense qu’aujourd’hui, le métier de journaliste est certes d’aller regarder combien d’arbres ont brûlé dans la forêt des Landes, mais de se demander pourquoi ça a brûlé et comment ça va se passer après. Est ce qu’on va replanter les mêmes essences ? Je pense que si on parlait d’un pêcheur à Saint Louis, on ne se lamente pas quand on est journaliste sur le sort du pêcheur.

CM

On a aujourd’hui, je pense qu’on a quand même avancé là dessus. On intègre comment on s’intéresse à la disparition de la mangrove. On donne les facteurs qui ont mené à cette constatation. Donc oui, ça remet en question le paradigme du qui, quoi ou pourquoi, comment, à l’instant. C’est le avant, le après et le droit de suite. Je pense qu’il y a vraiment quelque chose qui est essentiel à intégrer dans nos couvertures, c’est le droit de suite à tout point de vue sur ces sujets là, c’est à dire que la reconstruction d’un lieu, l’évolution d’un glacier, on y va, on y retourne, ça aussi. Donc oui, ça remet en cause, mais ça n’empêche pas de faire du journalisme.

PhC

C’est la primauté de l’actu telle qu’on l’entendait qui est remise en question.

CM

C’est de l’actu du temps long et du temps long avant nous et du temps long, on espère, un peu long après. Ça nous inscrit dans une… C’est pour ça, tout à l’heure, on le disait avec Julien, on peut créer l’événement autour de ces sujets là, l’événement éditorial. C’est à dire qu’on n’a pas besoin d’attendre une COP pour en parler et on peut faire un bilan une fois déglacé. On peut décider qu’ on se fait une journée en lien avec la thématique de la ressource halieutique. On peut décider que… Enfin voilà, il y a moult façons de le traiter.

JLB

Donc une invitation à continuer de transformer le journalisme et la rédaction de RFI. Merci Cécile Mégie d’avoir accepté de venir participer à cette conversation publique.

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