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Erik Hersman: « le iHub de Nairobi est le centre nerveux de la communauté des nouvelles technologies au Kenya »

Figure marquante de la scène des nouvelles technologies en Afrique, Erik Hersman est plus connu sur le web sous le surnom de White African (le nom de son blog et de son compte Twitter). Cofondateur de Ushahidi et du iHub, il est l’un des personnalités centrales de l’écosystème des nouvelles technologies dans la capitale kenyane. Je suis allé à sa rencontre pour comprendre comment Nairobi était devenu la ville de l’innovation en Afrique et l’interroger sur les leçons qu’on pourrait en tirer ailleurs en Afrique.

=> Lire également « Nairobi: comment la « Silicon Valley africaine » peut inspirer toute l’Afrique »

Le script de l’interview

Comment définiriez-vous en quelques mots ce qu’est le « iHub » ?   

Le iHub, c’est beaucoup plus de choses que ce que les gens pensent en général. Le iHub, c’est d’abord un espace communautaire (« community space ») qui aide les membres de la communauté tech ici à Nairobi à se connecter les uns aux autres,  à se trouver et à faire des choses ensemble. Nous avons commencé en 2010 avec un espace au 4e étage de cet immeuble. La comunauté a pris l’habitude de s’y retouver autour d’un café. Et on pouvait faire disparaître toutes les tables quand nous avions un grand ponte qui venait nous rendre visite. Depuis les débuts, ça a beaucoup grossi. Nous avons aujourd’hui un département qui fait de la recherche, un incubateur, un laboratoire spécialisé dans l’UX (expérience utilisateur) et beaucoup d’entreprises se sont installées dans le batiment. Il y a eu une croissance continue. Les gens démarrent ici et ils peuvent développer leur projet en passant par les différents bureaux de l’immeuble. C’est fantastique de voir comment cela s’est développé de manière naturelle.

Pouvez-vous nous rappeler comment l’idée du iHub est née?

L’idée du iHub vient de la communauté. On a organisé des barcamps depuis bien longtemps. En 2008, on a tenu un et autour d’une table on s’est demandé: pourquoi on ne se rencontre qu’une ou deux fois par an ? Comme si quelque chose nous manquait. On voulait créer un endroit où on aurait pu se retouver quand on le voulait. C’est la graine qui allait donner le iHub. Ca a pris encore deux ans. On lancé le iHub en 2010. Et ça s’est développé depuis lors.

Comment est-ce que le iHub entre en interaction avec la communauté à Nairobi et avec les pouvoirs publics ?

Le iHub est le centre nerveux de la communauté tech ici. Donc il reflète cette communauté. C’est un microcosme de cette communauté. Chaque jour, 60 ou 70 % des gens que vous croiserez ici seront différents de ceux qui étaient présents la veille. Mais si vous regardez ça sur une durée d’un mois, vous aurez vu défiler tout ceux qui appartiennent à cette communauté tech qu’ils soient dans de grandes entreprises, qu’il s’agisse de fonctionnaires, d’universitaires, de start-ups, de freelances ou d’étudiants. Tout le monde passe par ici. Les investisseurs également. Vous avez cette sorte de filtre naturel qui fait que si vous êtes ici assez longtemps, vous profitez de ce lieu car vous rencontrez toutes les personnes qui vous avez besoin de voir. Et j’aime penser que la vrai force du iHub, c’est la sérendipité. C’est parce qu’il existe et parce que nous l’avons conçu comme cela même sans le faire délibérément– que les gens sont amenés à se rencontrer et que de bonnes choses se produisent. Donc vous avez des entrepreneurs qui viennent chercher un document au moment où un investisseur arrive; vous voyez un gars qui a une idée et un autre qui veut faire des choses mais qui lui n’a pas d’idée; c’est le genre de chose qui arrivent. Et vous ne pouvez pas faire semblant. Ca se produit ou bien ça ne se produit pas. (…)

Comment le iHub interagit avec le gouvernement ? Ca se passe à plusieurs niveaux. Les subventions que nous touchons pour le iHub viennent d’entreprises privées qui sont nos partenaires ou bien des revenus que nous générons avec nos activités de consulting et de recherche. S’il y a des choses pour lesquelles la communauté peut aider le gouvernement, nous le faisons bénévolement. Toujours.

Pourquoi ?      

Il s’agit d’un problème avec l’argent public au Kenya. La source d’argent qui vous permet d’avancer dépend d’intérets politiques, alors il peut parfois y avoir des pièges mortels, des sortes de mines dont vous n’avez pas connaissance. Alors nous essayons d’être très précautionneux avec tout ça. Mais nous avons des relations avec le gouvernement. Le secrétaire d’Etat à l’information et à la communication, le Dr Biange Ndemo, est un très bon ami. Il fait aussi partie maintenant du Conseil d’orientation du iHub. Nous travaillons ensemble autant que nous pouvons. Il y a un autre niveau d’interaction avec les Pouvoirs publics. Nous représentons la communité tech ici et nous essayons de voir s’il y a des sujets que porte cette communauté et que nous pouvons communiquer au gouvernement en matière d’orientation politique et de réglementation ? Nous avons ainsi commencé à représenter la communauté dans différentes instances.  Nous avons donc des membres de la communauté —et pas des salriés du iHub— qui portent ces questions dans ces réunions. Et ils essayent de faire avancer les choses dans la direction souhaitée par la communauté. Donc nous avons différentes manières d’interagir avec le gouvernement.

Quelles sont les leçons apprises ici au iHub qui peuvent être utiles pour les autres pays d’Afrique ?

L’une des leçons que peuvent retenir les autres sur le continent, c’est que la communauté précède tout le reste. Elle est le premier maillon. Il faut la voir comme un village. Et vous êtes simplement ici à l’endroit où les gens peuvent se retrouver. Et ce que la communauté construit à partir de cette fondation est ce qui apporte de la valeur. Votre force dépend de votre capacité à réunir la meilleure commuanuté possible pour trouver les idées qui méritent d’être développées. Si vous voulez faire cela ailleurs sur le continent, ou même ailleurs dans le monde, vous devez d’abord vous assurer que vous disposez d’une base, d’une communauté de base qui a besoin et qui veut ce que vous avez. Il faut qu’elle trouve de l’intérêt à être là avec vous et à rendre autant qu’elle reçoit. Dans notre cas, il s’agit de technologie.

Beaucoup de gens se reposent sur le gouvernement pour faire des choses pour eux. Le iHub a prové qu’on peut constraruire quelque chose en utilisant de l’argent privé et l’appui d’entreprises privées. Et vous pouvez utiliser cela comme une base très viable dans le secteur ou dans la ville. Vous pouvez travailler avec l’Etat si vous voulez mais vous ne devez pas vous reposer sur eux. Il y a tellement de personnes qui se reposent sur l’Etat. Si vous le faites, cela peut avoir un impact négatif sur la vitesse à laquelle vous pourrez faire les choses. Ca va vous ralentir. Je pense que l’une des choses les plus importantes que nous ayons est notre indépendance qui pour permet d’évoluer rapidement. C’est le conseil d’administration qui décide des orientations. Et ce Conseil d’administration est représentatif de notre communauté. Et tout le monde leur fait confiance, en association avec le comité consultatif qui l’accompagne. Cela permet de voir les sujets sous différents angles et de prendre des décisions rapidement. Etre capable de prendre des décisions rapidement et ne pas être dépendant du gouvernement sont deux choses très importantes. Et on aurait besoin que ça se diffuse un peu plus à travers l’Afrique.

Quelles sont les relations entre le iHub et la presse ?

Pour la presse, il y a plein de sujets intéressants ici avec les gens qui élaborent des choses au iHub. S’il y a des choses qui se passent dans la communauté (une entreprise qui se crée ou un événement intéressant) alors on les alerte. L’une des choses que nous avons réalisées avec notre département recherche est de rendre publics différents sujets et cela est intéressant pour les médias. Mais nous faisons aussi des recherches et des infographies pour montrer, par exemple, la progression de l’usage mobile ou d’internet dans le pays et c’est intéressant pour eux également. Du côté techno, c’est un peu plus intéressant. Quand vous avez les journalistes spécialisés dans le domaine des nouvelles technologies qui peuvent voir ce que la communauté tech est en train de faire, et c’est très facile pour eux de savoir ce qui se passe. Auparavant, ils devaient chercher un peu partout en espérant que quelqu’un qu’ils connaissent les alerte sur une information. Maintenant, ils viennent simplement au iHub et ils parlent avec les gens. Cela leur donne une cible plus large.

Qu’est-ce que les journaux confrontés à la révolution numérique peuvent apprendre du iHub ?

C’est une bonne question. Nous avons des groupes de médias assez puissants ici à Nairobi. Certains d’entre eux sont vraiment bons ces derniers temps pour exploiter les réseaux sociaux pour interagir avec leur audience et diffuser ainsi leurs informations. Des hauts responsables de ces groupes de médias viennent ici et passent du temps avec la communauté. Ce que nous faisons, c’est que nous organisons des tables rondes.  Et nous posons la question « Qu’est-ce que les médias du groupe Nation peuvent faire mieux en terme de technologie?  »  Et toutes les opinions s’expriment. Et les gens de la communauté ne sont pas impressionnés par le fait que le PDG de ce grand groupe de média soit assis en face d’eux. Ils ne vont pas aller solliciter un emploi dans son groupe de toute façon. Ils disent exactement ce qu’ils pensent. Souvent, les PDG, on ne leur dit pas exactement ce que l’on pense parce que leurs employés sont un peu « timides ».

De manière plus importante, je pense que le iHub est un microcosme de la communauté tech de Nairobi. Les gens que vous voyez ici sont des super utilisateurs des nouvelles technologies et des plateformes qui sont disponibles. Et les groupes de médias peuvent regarder cela et se dire: c’est comme ça que les choses vont évoluer pour le grand public d’ici deux ou trois ans. Ils peuvent regarder ce que les gens font ici avec Twitter, Facebook, Whatsapp ou Instagram, ils peuvent commencer à étudier comment ça marche  et l’envisager dans leur contexte de média.

Un exemple. J’ai fait de la recherche. Nous avons parlé à des groupes de média du traitement plus graphique de l’information pour intéresser leurs lecteurs. Comment présenter des chiffres et des informations d’une amnière visuellement attrayante et pertinente ?

Une autre chose: le iHub est l’un des pivots pour le mouvement de l’open data au Kenya. Pour cette raison nous parlons aux médias et nous leur demandons comment ils veulent utiliser les données publiques disponibles pour réaliser des reportages. Vous pouvez utilser ces statistiques maintenant disponibles pour illustrer votre article.

Nous avons beaucoup d’interactions de ce type même si aucune n’est super forte.  Mais je pense que la somme de ces interactions font que les médias sont meilleurs.

J’ai l’impression qu’il existe un fossé entre l’Afrique anglophone et l’Afrique francophone. Partagez-vous ce sentiment ?

Oui, je pense qu’il y a un mur de la langue entre l’Afrique francophone, l’Afrique anglophone et l’Afrique arabophone. Il y a en fait trois zones différentes. Et elles ne communiquent pas bien entre elles. Mon associé dans BRCK, notre entreprise, a grandi en Afrique francophone. C’est la première fois de ma vie que je travaille avec un gars venu d’Afrique francophone. Ce n’est pas quelque chose de commun. Et il y a peu de pays qui font le lien. Il n’y en a qu’un seul que je connais. C’est le Cameroun où anglophone et francophones sont mélangés.

Mais la connexion internet est tellement médiocre au Cameroun !

Oui, mais si le Cameroun était malin, il jouerait ce rôle de pivot entre les deux mondes. Il y a des tas de choses qu’ils pourraient faire pour être l’endroit où les deux se rencontrent. Franchement, il y aura toujours une barrière. La langue est l’une des principales choses qui unit ou qui divise les gens. Mes parents étaient linguistes alors je sais un peu ces choses-là. C’est drôle de penser qu’il y a des choses intéressantes en Afrique francophone que nous ne connaissons pas ici et qu’il y a beaucoup de choses qui se passent en Afrique anglophone et que les francophones ne connaissent pas non plus. Et on apprend très peu les uns des autres et c’est dommage. Je connais pas de meilleur moyen de raliser cela que de faire un média qui serait disponible dans une version francophone et anglophone.

L’une des choses qui s’est quand même produite, c’est que nous avons fondé l’association Afrolabs, l’assciation des hubs technologiques en Afrique. Et nous avons une rencontre annuelle avec tous les managers et les leaders de ces hubs. Et ils viennent d’Afrique francophone, anglophone et arabophone. Et ces trois ou quatre jours où vous voyez ces gens échanger des idées, je pense que c’est aussi une voie au sein de la spère techno pour plus de mise en commun, de partage d’expérience, et construire des relations pour combler ce fossé.

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