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Le projet de plateforme de blogs coopératifs actuellement mûri par Libération (voir ce billet) constitue une tentative de réponse à l’actuelle déstabilisation des journalistes et des médias. Une initiative qui entre en résonance avec les propos tenus par Florence Aubenas dans l’excellente revue des 60 ans du CFJ intitulée « Journalisme, un métier à réinventer » (malheureusement, non disponible en ligne).

Les journalistes français n’ont pas fait leur révolution interne, comme les historiens l’ont fait avec l’école des Annales. Avant eux, étudier l’histoire c’était s’intéresser aux faits et gestes des rois, des reines ou des généraux. Ceux de l’école des Annales ont été les premiers à se pencher sur la société, à dire qu’il n’y avait pas de petite ou de grande histoire. Dans la presse, il nous faut faire cette révolution-là. Il y a un espace gigantesque à conquérir entre le journalisme institutionnel et le micro-trottoir. Le plus dramatique, c’est que personne en France n’oblige à écrire sur une chose ou sur une autre, c’est la vision du journaliste qui est elle-même institutionnelle.

Arrêtons d’écrire l’actualité des rois, écrivons celle du peuple, suggère Florence Aubenas. C’est là que les choses se corsent. La sociologie actuelle des journalistes français étant ce qu’elle est, on voit qu’il est difficile de rendre compte des réalités de la vie de certains quartiers de banlieue (à tel point que l’embauche d’un « fixer » à parfois semblé nécessaire à certains).

Si les journalistes s’avèrent incapables de rendre compte par eux-mêmes de la réalité quotidienne de pans entiers de la population, alors le blog peut sembler un bon moyen de restituer cette réalité. Depuis plusieurs années déjà, la BBC, notamment, publie les blogs de travailleurs humanitaires installés dans des zones inaccessibles aux journalistes. Inaccessibles, moins par les difficultés physiques qu’il y aurait à se rendre sur place, que par le manque d’enthousiasme des patrons de presse à financer des reportages coûteux sur des terrains peu « rentables ». Ce qui est vrai pour l’actualité internationale risque de le devenir pour l’actualité nationale.

Dans ce cas de figure, le rôle du journaliste revient, en amont, à faire le casting en sélectionnant le blogueur et, en aval, à éditer la prose pour qu’elle reste conforme à la ligne éditoriale du média qui la diffuse. Conséquence: la position du journaliste change profondément. Son rôle de médiateur entre ceux dont il parle et les lecteurs/auditeurs/télespectateurs disparaît. Ce rôle échoit alors au blogueur qui doit traduire la réalité des siens.

L’approche est intéressante mais elle est loin de résoudre toutes les questions. Si le journaliste est sans doute en mesure de justifier d’un savoir-faire technique dans le domaine de l’édition, qu’en est-il de sa légitimité à choisir ceux qui vont parler au nom d’une communauté, d’un groupe professionnel, d’un quartier?

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