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Deux jours passés à Lille pour les 2e Assises internationales du journalisme: quel bilan?

Ben, ça va mal.

La seule occasion de sourire m’a été fournie par la contribution de l’historien Patrick Eveno à la question de l’année: à quoi sert un journaliste?

« Quelle question saugrenue : tout le monde sait qu’un journaliste sert à cirer les pompes de ses chefs, de son patron, des publicitaires, des hommes politiques et des chefs d’entreprise. Ce qui lui permet au passage de gagner maigrement sa vie. S’il est un peu aigri de cette situation, il s’en satisfait parce qu’il ne saurait pas faire grand-chose d’autre dans la vie réelle et parce que la fréquentation des puissants lui donne quelque importance auprès de son entourage. »

Pour le reste, ce sont le désarroi et la tentation du repli qui dominent.

Jean-François Kahn en décrivant les évolutions nécessaires dessine en creux la dérive d’une profession qui refuse encore de s’interroger véritablement sur elle-même.

  • Leçon n°1 : « Adopter un style plus adapté aux lecteurs d’aujourd’hui (…) ».
  • Leçon n°2 : « Aller sur le terrain. (…) Faire des reportages. (…)»
  • Leçon n°3 : « Briser la structure féodale des rédactions (…)».
  • Leçon n°4 : « Combattre le conformisme (…) »
  • Leçon n°5 : « Rétablir une fraternité entre les journalistes (…)»

Le débat sur le service public et l’information de service public a été symptomatique à plus d’un titre. Face à des télespectateurs qui disent ne pas voir vraiment la différence entre le JT de France2 et celui de TF1, la réponse a été: « mais si, cette différence existe ». Dialogue de sourds.

Si le public ne voit pas la différence. Deux hypothèses: ou bien cette différence n’existe pas, ou bien elle ne se voit pas. Dans les deux cas, ça mérite de creuser un peu la question.

On retiendra que Rachid Arhab, membre du CSA, invite son ancienne maison (France Télévision) à créer les bases d’une chaîne d’info en continu alors que la tendance à l’info en continu (à la télé, en radio et sur le web) est sans doute à l’origine d’une partie des dérives et insuffisances actuelles de l’info. C’est mon avis.

Le débat intitulé « Sarkozy et nous » a montré que le chef de l’Etat restait le point focal apparemment indépassable de l’horizon journalistique. C’est une maladie, semble-t-il, qui a un nom: la sarkoze:

« La Sarkoze provoque une altération du sens commun qui conduit à parler sans cesse et sans discernement du dénommé Nicolas Sarkozy. »

Faut-il faire plus de Sarkozy? Moins? Autrement?

Oui, mais Sarkozy fait vendre.

Oui, mais Sarkozy fait peur.

Oui, mais Sarkozy fascine.

A la recherche d’une impossible distance vis-à-vis de son sujet de prédilection, la profession en oublie (comme tenta de le rappeler Jean-Marie Charon) que le sort de la France et de ses habitants ne se joue pas seulement à l’Elysée.

Figure emblématique de la Sarkozie journalistique, Philippe Ridet (Le Monde) glissa sans s’attarder qu’il était sur le point de raccrocher les crampons pour devenir correspondant à l’étranger. On sussura qu’il allait exercer ses talents auprès de Berlusconi désormais.

Il aura été question aussi des attaques récentes contre l’AFP pour qu’elle soit privatisée, cesse de « dysfonctionner » et crée un canon à communiqués de presse. Vu l’origine des attaques et leur concomittance au moment où l’agence est dans l’attente de la signature d’un contrat d’objectifs et de moyens de la part du gouvernement, on peut imaginer une offensive concertée contre la 2e agence mondiale.

Et alors?

Alors, pas grand chose.

Quelques heures auparavant, les journalistes italiens tout aussi à la dérive avouaient leurs remords de n’avoir pas vraiment bougé lorsque des attaques avaient été portées contre certains d’entre eux.

Fatalisme, auto-justification, découragement: dire que l’ambiance était morose serait encore enjoliver la situation.

Un atelier de travail sur la formation continue s’est perdu dans les méandres des procédures administratives et dans les questions de boutique sans jamais parler du contenu des formations nécessaires et tentant d’évacuer le fait qu’aujourd’hui c’est l’encadrement intermédiaire, des chefs de service aux rédacteurs en chef qui a le plus besoin de formation. C’est là que nichent les plus fortes résistances aux remises en cause et aux changements.

Des signes d’espoirs? De nouveaux médias sont nés. Rue89 est cité à tout bout de champ malgré la fragilité de l’entreprise. L’arbre qui cache la forêt en quelque sorte. Mediapart est mal parti si l’on en croit les étudiants de l’IPJ qui bloguaient ces Assises.

« Mediapart n’a pas gagné son pari. Le site n’est pas viable économiquement. Seuls 7 200 internautes ont souscrit un abonnement. »

Sur le site Edwy Plenel annonce l’ouverture des premières brêches dans le mur du payant qui ceinture Mediapart:

« nous avons décidé de laisser en accès libre certains des articles du journal, signalés comme l’est celui-ci par un petit soleil contenant un cadenas ouvert. Tous les visiteurs de Mediapart pourront les feuilleter pour se faire une idée du journalisme ici pratiqué. »

Bakchich surnage encore. Seul XXI lancé par Patrick de Saint-Exupéry et Laurent Beccaria peut faire figure de succès à ce jour tant sur le plan éditorial que commercial. Et que dit Saint-Ex ?

« Le lecteur existe, ce n’est pas une cible. »

Ah bon?

Il n’y a pas que l’info continue dans la vie?

Autre ferment de renouvellement potentiel, le journalisme participatif. J’ai animé le débat qui y était consacré donc je n’ai pas la meilleure position pour en rendre compte. Les étudiants de l’IPJ l’ont fait succintement. Pour ma part, je retiens qu’il est difficile de parler posément de ce sujet qui mèle actuellement plusieurs mouvements:

  • la nouveauté introduite introduite par le web qui rend la contribution de l’audience possible et facile
  • la dissémination des outils « journalistiques » au sein du public
  • les contraintes économiques qui laissent imaginer dans certains cas le remplacement d’équipes de journalistes professionnels rémunérés par des « communautés » de journalistes amateurs bénévoles

Puisque tout change trop vite. Puisque demain ne sera pas comme aujourd’hui, il faut donc serrer les boulons et les rangs. C’est la tentation du repli.

Et hop, une charte de qualité en chantier

Et hop, un simili ordre professionnel en projet

Louables tentatives pour tenter d’ériger d’improbables murailles autour d’une profession qui par essence devrait rester ouverte, poreuse et en prise avec la société. Elle ne l’est pas.

C’est en ouvrant les coulisses, en montrant comment se font les choix, en accueillant le public dans la cuisine de l’info pour montrer que la tambouille n’a rien de honteux, c’est en faisant cela qu’on regagnera confiance et crédit. Accepter de montrer ce qui se passe, ce qui se dit dans une conférence de rédaction, c’est peut-être plus compliqué que de rédiger une nouvelle charte.

En tout cas, rendez-vous l’année prochaine pour ceux qui seront encore journalistes.

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